Dans l’univers policé du tennis, le BNP Paribas Masters de Bercy est depuis sa création en 1986 une joyeuse et bruyante exception. Passionné, démonstratif, parfois injuste, le public du Palais Omnisports de Paris-Bercy peut rendre la vie infernale aux joueurs. Pris en grippe et conspué, certains n’ont pas hésité à répondre à leur façon aux sifflets. Entre amour et haine.
Henri Leconte (1988)
« Maintenant j’espère que vous avez compris mon jeu. » Même quatre mois après, la petite phrase prononcée lors de son discours de finaliste malheureux à Roland-Garros ne passe toujours pas auprès du public parisien.
Opposé à John McEnroe au premier tour, Leconte vit un cauchemar. Conspué du début à la fin de la rencontre, le Français voit les spectateurs prendre le parti de l’Américain. Meurtri, il demande même l’intervention de l’arbitre Bruno Rebeuh qui doit rappeler « qu’il s’agit d’un match de tennis ». Un match perdu en deux sets par Henri Leconte. Bercy venait de faire sa première victime.
Fabrice Santoro (1991)
En novembre 1991, Yannick Noah est un préretraité actif. Capitaine d’une équipe de France de Coupe Davis qui doit bientôt affronter les Etats-Unis en finale, il cartonne aussi comme chanteur avec « Saga Africa ». Classé au-delà de la 500e place mondiale, Noah bénéficie d’une invitation pour un dernier tour de piste. Le hasard met sur sa route un de ses joueurs, Fabrice Santoro. Pétrifié d’affronter son capitaine, le jeune homme de 19 ans sombre et le public parisien l’y aide en soutenant bruyamment Noah. « A Lyon, ce sera différent pour la finale. Le public sera avec moi, et le capitaine aussi », relativise un Santoro qui ne sait pas encore que Noah a décidé de lui préférer Leconte.
André Agassi (1992)
Récent vainqueur de Wimbledon, André Agassi affronte au premier tour un adversaire dont il déteste le jeu : Brad Gilbert. Balles en coton et changements de rythme incessant, Gilbert fait exploser le Kid de Las Vegas. Le versatile public du POPB lâche son idole et finit par le conspuer. Balayé 6-1, 6-2, Agassi n’a pas tout perdu. Ce jour-là germe en lui l’idée de recruter Gilbert comme entraîneur, ce qu’il fera deux ans plus tard avec l’incroyable réussite que l’on connaît.
Goran Ivanisevic (1993)
Bercy ne s’en prend pas toujours aux faibles et aux perdants. En 1993, Goran Ivanisevic traverse le tournoi avec son service destructeur. En finale, le Croate dégoûte Andreï Medvedev avec 27 aces et 32 services gagnants. Frustrés, les spectateurs finissent par siffler Ivanisevic dès qu’il claque un service non retourné. « Ce qu’ils voulaient, c’était voir un match en cinq sets, souffle le vainqueur à l’issue d’une finale pliée en trois manches. Mais moi je n’ai aucune envie de jouer cinq sets. Ils n’ont qu’à regarder la finale du double ! » Face à ses excès de vitesse, la direction du tournoi s’efforcera par la suite de la ralentir les conditions de jeu.
Cédric Pioline (1996)
Avant d’en devenir l’un de ses directeurs à la fin des années 2000, Cédric Pioline a été l’une des victimes de Bercy et de sa foule houleuse. Battu en trois sets par Kafelnikov, le Parisien digère mal d’avoir été sifflé et conspué par « son » public et lui assène un bras d’honneur pour lui faire comprendre. « Quand je vois des choses comme celles que j’ai vues ce soir, je ne suis pas fier d’être Français», lâchera-t-il en conférence de presse.
Boris Becker (1996)
La même journée, Boris Becker subit le même sort que Pioline. Bien que triple vainqueur du tournoi, l’Allemand ne bénéficie pas de l’immunité auprès d’une audience prête à brûler ce qu’elle a adoré. Sifflé lors se défaite contre Carlos Moya, Becker va même jusqu’à qualifier la salle parisienne de « zoo ». « Quand je quitte ce tournoi, je suis à la limite de me faire hospitaliser », exagère-t-il un peu.
Patrick Rafter (1997)
Joueur apprécié partout dans le monde, l’Australien n’a pas connu les sifflets ou les quolibets du Palais Omnisports. Mais opposé à Cédric Pioline, Rafter est aveuglé au moment de servir par le stylo-laser d’un spectateur indélicat. Le récent vainqueur de l’US Open s’en plaint au juge-arbitre et une course à l’homme est décrétée pour retrouver le coupable. La sécurité met un certain moment à le localiser et à le désarmer, Rafter peut enfin servir tranquillement et se qualifier pour le deuxième tour.
Roger Federer (2003)
La France adore Roger Federer. Le Suisse est comme chez lui à Paris. Mais avant le grand amour, il a fallu amadouer Bercy et sa difficile assistance. Opposé au futur vainqueur, Tim Henman, Federer sort sous une bronca typiquement parisienne. « Le public peut être très dur ici », avoue-t-il après sa défaite. Hasard ou coïncidence, Federer sera forfait lors des trois éditions suivantes sans que le public lui en tienne rigueur. De l’avantage d’être devenu une icône de son sport.
Rafael Nadal (2008)
Vendredi noir au POPB. Alors que Roger Federer vient de déclarer forfait avant sa rencontre face à James Blake, Rafael Nadal pénètre sur le central pour affronter Nikolay Davydenko. Blessé à un genou, l’Espagnol s’est débarrassé sur une jambe de Gaël Monfils au tour précédent, mais doit renoncer lors de ce quart de finale après la perte du premier set (1-6). En manque de tennis, Bercy conspue le roi de Roland-Garros. Grand prince, Nadal prend sur lui la colère des spectateurs et se dit désolé « pour les gens qui ont payé leur place ».
Benoît Paire (2013)
Après Leconte et Pioline, Bercy dévore un autre de ses enfants. Battu sans trop combattre par son compatriote Pierre-Hugues Herbert, Benoît Paire est conspué tout au long de la rencontre. Mais le Français n’est pas du genre à tendre l’autre joue. Interrogé en conférence de presse, il se lâche : « Les gens ne comprennent rien. Ils sifflent sur tout. Ce sont des abrutis. Je suis 26e mondial, eux ils sont combien pour siffler ? J'ai besoin de bonnes vacances. Je vais sortir tous les soirs et si cela intéresse les gens, je pars à Cancun ! ». Loin des yeux, du cœur et des sifflets.
