Le Masters au temps honni de la tabagie

17 oct. 2014 à 00:04:37

Si aujourd’hui BNP Paribas est le sponsor des Masters de tennis féminin, il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’au début des 90, le tournoi est soutenu par une marque de tabac. Sport et cigarettes, l’étonnant mariage d’une époque révolue

Si aujourd’hui BNP Paribas est le sponsor des Masters de tennis féminin, il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’au début des années 90, le tournoi était soutenu par une grande marque de tabac. Sport et cigarettes, l’étonnant mariage d’une époque révolue. Pour le meilleur et surtout pour le pire…

 

Sur l’affiche des BNP Paribas WTA Finals édition 2014, organisés à Singapour du 17 au 26 octobre, le chapelet de prétendantes à la victoire finale est mis en avant, avec en tête de gondole la tenante du titre et favorite Serena Williams, raquette dans une main, le poing serré dans l’autre. En remontant une trentaine d’années en arrière, l’affiche de promotion du même événement était sensiblement différente. Il y figurait une anonyme joueuse en jupette, sportive, élégante, le sourire aux lèvres, tenant là aussi une raquette dans une main et dans l’autre… une cigarette.

Aujourd’hui, la vue de cette image a de quoi surprendre, voire même choquer. A l’époque pourtant, elle passait presque inaperçue. Dans tous les pays occidentaux, la cigarette était omniprésente. Jusque dans les années 80 et l’arrivée des premières lois anti-tabac. Partout il était autorisé de fumer : dans les bâtiments publics, dans les restaurants, dans les avions et même dans les enceintes sportives. Les publicitaires des cigarettiers pouvaient laisser libre cours à leur imagination, y compris en faisant appel à des grandes compétitions pour leurs campagnes de promotion. Si les sports mécaniques étaient tout particulièrement privilégiés pour leur côté viril, d’autres disciplines pouvaient ainsi servir de support de pub pour les grandes firmes de tabac. Ce fut le cas du tennis féminin, qui a bénéficié d’une manne financière inespérée de la part de Philip Morris, dès les débuts de la Women’s Tennis Association (WTA) en 1970. Et c’est tout naturellement que deux ans plus tard, alors qu’est organisée la première édition des Masters à Boca Raton en Floride, la grande firme américaine décide de devenir le sponsor principal de la compétition. Le tournoi est alors nommé « Virginia Slims Championships », du nom d’une marque de cigarettes produite par Philip Morris et destinée spécifiquement au public féminin.

 

« You’ve come a long way, baby »

 

Les paquets de Virginia Slims sont apparus sur le marché américain en 1968. La cible visée ? Les jeunes femmes en quête de liberté et d’élégance. Le slogan pour les vendre est d’ailleurs équivoque : « You’ve come a long way, baby », littéralement « T’en as fait du chemin, chérie ». Manière de signifier aux demoiselles de la nouvelle génération que l’émancipation féminine est le fruit d’un long cheminement et que le fait de pouvoir fumer comme les hommes, sans que ceux-ci n’aient rien à en redire, fait partie de la panoplie. Comme support publicitaire, le Masters de tennis féminin est parfaitement approprié à l’image que souhaite véhiculer la bande de « Mad Mens » en charge de la publicité chez Philip Morris. Le tennis féminin a gagné ses galons de liberté en créant une ligue professionnelle. La WTA est le pendant de l’ATP, le glamour en plus. Des années 70 jusqu’au début des années 90, le tennis féminin et la marque de cigarettes pour femmes vont vivre une idylle de raison. Si les instances de la WTA n’y trouvent rien à redire, c’est qu’elles reçoivent en échange un gros chèque de la part du cigarettier qui, en plus de sponsoriser le Masters, va aussi soutenir plusieurs tournois aux Etats-Unis, à Boston, Houston, Newport, Indianapolis… Mais les bâches ventant la marque Virginia Slims au bord des courts ne plaisent évidemment pas à tout le monde. Régulièrement, des associations anti-tabac viennent perturber le bon déroulement du tournoi. Les premières années, celui-ci se tient en plein air en Floride puis à Los Angeles, et des avions passent dans le ciel pendant les matchs, porteurs de messages hostiles. Puis à partir de la fin des années 70, quand le Masters est délocalisé au Madison Square Garden de New York, les critiques s’intensifient.

 

Billie Jean King cautionne au nom de « la libre entreprise »

 

Les véhémences proviennent principalement du GASP (Group Against Smoking Pollution), dont les membres n’hésitent pas à prendre à partie les joueuses et à les mettre devant leurs responsabilités. C’est le cas notamment en 1983, lorsque Billie Jean King est interpellée en marge du tournoi « The Virginia Slims of Boston » par la présidente du GASP Rita Addison. Elle va jusqu’à parler de « prostitution » à la championne militante, alors en fin de carrière. Ce à quoi cette dernière répond : « Je crois à la libre entreprise. C’est aux femmes elles-mêmes de décider de fumer ou de ne pas fumer. Le plus important est d’être bien informées sur le sujet et de prendre nos propres décisions. » 10 ans plus tard, en 1993, le chroniqueur Bob Herbert du Times profite de la tenue du Masters au Madison Square Garden pour interpeler une nouvelle fois le monde du tennis féminin, et Billie Jean King en particulier, sur la caution indirecte apportée à l’industrie du tabac. « Aucune joueuse du tournoi n’a reçu l’ordre par Philip Morris de fumer, d’apparaître dans une publicité ou de cautionner le tabagisme », tente de se défendre celle qui est à l’époque capitaine de l’équipe américaine de Fed Cup. Mais les critiques se font trop intenses pour le cigarettier, qui cesse de soutenir le Masters à compter de l’année suivante. Ainsi s’achève la relation tourmentée entre tennis féminin et monde du tabac : par un inévitable divorce.

 

Par Régis Delanoë

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