Le tennis chinois doit-il pleurer le départ de Li Na ?

1 oct. 2014 à 10:15:22

Alors que s’est ouvert depuis lundi l’Open de Chine, à Pékin, un visage manque à l’appel : celui de Li Na, retraitée depuis le 19 septembre dernier. Dès lors, comment le tennis chinois compte-t-il poursuivre son développement? Tentative de r

Alors que s’est ouvert depuis lundi l’Open de Chine, à Pékin, un visage manque à l’appel : celui de la légende locale, Li Na, retraitée depuis le 19 septembre dernier en raison de pépins physiques récurrents. Dès lors, comment le tennis chinois compte-t-il poursuivre son développement sans la joueuse qui l’a initié ? Tentative de réponse, entre soft power et Yao Ming.

 

« La tête de file du tennis chinois a créé un nouveau miracle » ; « Li Na forge l’Histoire » ; « Un grand coup de fouet à un sport qui se développe déjà rapidement en Chine »Ce dimanche 5 juin 2011, la presse chinoise est en émoi. Pour la première fois, une joueuse de tennis locale vient de remporter un tournoi du Grand Chelem. Son nom ? Li Na, alors âgée de 28 ans et victorieuse de Roland-Garros. « Je jouais au badminton depuis l’âge de 6 ans, raconte-t-elle. Mais au bout de deux ans, mon entraîneur a trouvé que je n’étais pas très performante et m’a conseillé de me mettre au tennis. Il a dû montrer à ma famille à quoi ressemblait un court de tennis, parce qu’à l’époque, ici, ce n’était pas un sport très populaire ». Mais ça, c’était avant : la demi-finale parisienne de Li Na face à Francesca Schiavone, retransmise en direct sur la chaîne d’état CCTV, a rassemblé près de 25 millions de téléspectateurs. Dans un sondage express réalisé en ligne juste après par le géant de l'internet chinois sina.com, 44% des 100 000 internautes ayant répondu ont assuré avoir pleuré devant la victoire de Li NaDans une tribune écrite au Monde, Wei Shen, professeur en affaires internationales à l’université de L’UNAM, pense que « ce succès a initié une nouvelle vague de fierté nationale dans son pays d'origine, ainsi qu'un grand intérêt pour le tennis »Une discipline qui, aujourd’hui, pleure sa légende. Le 19 septembre dernier, Li Na, 32 ans et sixième joueuse mondiale, met officiellement un terme à sa carrière en raison d’un genou souffreteux. Après l’émotion, la réalité reprendra bientôt ses droits : quel avenir pour le tennis chinois, orphelin de sa plus belle locomotive ?

 

« C’était un vrai bordel »

 

Car, derrière Li Na, la relève n’est pour l’heure pas totalement assurée. Même si au classement de la WTA, trois joueuses chinoises (Peng Shuai, Zhang Shuai et Zheng Jie) figurent parmi les 100 premières mondiales, il faut descendre jusqu’à la 193ème place pour trouver l’équivalent ATP, Ze Zhang. « Ils ne sont pas très forts dans leur tête, tranche Li Na elle-même. Ils pensent que d’être 300ème mondial, c’est parfait. Ils doivent croire plus en eux et avoir plus d’ambition. » Guillaume Peyre, ancien coach de Richard Gasquet et désormais entraineur national auprès de la Fédération chinoise de tennis (CTA), ne dit pas d’avantage : « Ils sont fainéants, il faut toujours être derrière euxQuand je suis arrivé en 2009, le niveau moyen des garçons était éclaté autour de la 800-900ème place mondiale. Même pour les meilleurs. Je me suis dit qu’il y avait tout à faire : au niveau de l’entrainement, de la planification, de la formation des coachs, c’était un vrai bordel. Ils ne font que du travail de masse : du volume, du volume, du volume. C’étaient des bourrins. Et c’est aussi parfois ce qui démotive des joueurs très tôt. On les fait beaucoup travailler au début et après ils sont cramés : ils veulent tout le temps se reposer. » 

 

Pour autant, l’immensité du vivier et la politique ‘spéciale’ mise en place par la fédé permettent parfois de compenser ces lacunes. Et Guillaume Peyre toujours : « Il y aura toujours des joueuses en Chine qui rentreront dans le Top 100 car les dirigeants chinois ont privilégié le tennis féminin étant donné les résultats de Li Na. Par exemple, dans les provinces, les sparring-partners des filles sont les meilleurs garçons. C’est quand même un gros avantage »Malgré tout, à seulement 20 ans, Li Na renonce à ces bonnes conditions d’encadrement et quitte le giron de la fédération chinoise. Son souci ? Que les meilleures joueuses soient obligées de reverser 65 % de leurs gains à l’administration (plus de 3 millions de dollars selon la WTA), qui en échange finance leurs déplacements, leurs entraînements et leurs équipements. Un système basé sur le fait que les joueuses acceptent de se concentrer sur le double. A cette époque, la percée chinoise dans le tennis étant planifiée par l'Etat, les autorités s'étaient concentrées sur le double dames, où elles pensaient pouvoir connaître le succès le plus vite possible, en particulier aux Jeux olympiques de Pékin. Elles avaient été récompensées par la victoire de Sun Tiantian et Li Ting à Athènes il y a dix ans. Deux titres du Grand Chelem suivront pour Zheng Jie et Yan Zi à Melbourne et à Wimbledon en 2006. Or Li Na considérait que son avenir était dans le simple : « Je n'ai pas joué au tennis pendant deux ans. Je voulais jouer en simple mais, lors des Jeux olympiques de 2000, ils voulaient que je joue en double, se souvient-elle. Il fallait d'abord que je joue les doubles et, ensuite, je me casais en simple quand je pouvais. Je trouvais qu'on ne me donnait pas la possibilité de devenir une bonne joueuse de simple »La cassure intervient en 2011, lorsque Li Na n’apprécie pas non plus la récompense de la CTA après avoir atteint la finale de l’Open d’Australie : une invitation au restaurant. « C’est tout ? », aurait alors répondu la joueuse.

 

« Li Na n’était pas éternelle »

 

Quoiqu’il en soit, Li Na a joui d’un statut particulier lui autorisant à quitter son pays et à conquérir le monde. Pour les autres, l’ambition d’un destin international est beaucoup plus complexe. Comprendre : « En Chine, l’éducation d’un enfant coûte extrêmement chère. La seule solution de se débarrasser de ce poids financier est alors de le confier à une école de sa province. Et ensuite, l’école fait ce qu’elle veut et décide de votre futur : si  vous allez être sportif, professeur de mathématiques ou médecin. Vous n’avez pas le choix, décortique Guillaume Peyre. En clair, chaque joueur appartient à son école puis à son équipe. Cela se passe comme ça pour tout le monde, sauf pour Li Na, qui a la chance qu’on lui ‘rende son passeport’, comme on dit, grâce à ses bons résultats »De plus, ouvrir ses frontières et investir dans des sports comme le tennis est important pour l'image extérieure de la Chine. « C’est primordial pour le soft powerépluche pour sa part Wei Shen. Il n'est donc pas surprenant que la Chine ait produit quelques superstars ces dernières années : Yao Ming (basketball, ndlr), Liu Xiang (110-mètres haies, ndlr) et bien évidemment Li Na, des superstars considérées internationalement ‘made in China’. Les victoires de ces athlètes ont également bénéficié à la stratégie ‘Aller dans la mondialisation’ de la Chine, en envoyant ses sportifs se former à l'étranger, surtout aux Etats-Unis et en Europe et en recrutant des entraîneurs ou des joueurs de renom en Chine. Li Na a passé beaucoup de temps à s'entraîner à l'étranger et son entraîneur était en effet originaire du Danemark ». 

 

Peu de pays ont investi autant d'argent que la Chine afin de développer le domaine sportif. Dans les années 80, le pays commence à s'ouvrir aux investissements étrangers. Mais également à investir lourdement dans des athlètes de talent. Le tennis en est une parfaite illustration : selon la WTA, moins d'un million de personnes seulement pratiquaient le tennis en Chine avant que ce sport ne soit introduit comme sport officiel aux Jeux Olympiques de 1988. Aujourd'hui, le gouvernement estime qu'environ 130 millions de Chinois s'intéressent au tennis et 14 millions le pratiquent en amateur, soit à peine plus que le double de la France... En 2013, d’après une étude  réalisée par Tom Cannon, expert dans la finance des sports et professeur à l’Université de Liverpool, ce nouveau secteur génère 4 milliards de dollars chaque année. Une manne financière importante réalisée, aussi et surtout, grâce à deux évènements désormais majeurs sur le circuit mondial : la Shanghai Rolex Masters et l’Open de Chine qui se déroule cette semaine à Pékin. « La Chine sera un pays incontournable du tennis dans les années à venir, incontournable vous dis-je », pense savoir Guillaume Peyre. Avant de démystifier : « Li Na a ouvert la voix du tennis en Chine mais sa retraite ne la refermera pas. De toute façon, il fallait bien qu’elle s’arrête un jour. Li Na n’était pas éternelle ».

 

Par Victor Le Grand

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