Dix ans ! Alors que l’US Open commence cette semaine, il est intéressant de constater que cela fait dix ans que le classement ATP est invariablement dominé par les trois mêmes champions : Federer, Nadal et Djokovic. Une hégémonie historiquement longue, à laquelle rêve de mettre fin la nouvelle génération, celle des joueurs nés dans les années 90. Y arriveront-ils ? Pas impossible !
Oui car l’actuelle n’est pas éternelle
C’est Rafael Nadal lui-même qui l’a dit lors des derniers Internationaux de France : « Notre génération prend la porte de sortie. Nous sommes depuis longtemps au sommet et il est logique que de jeunes joueurs nous remplacent. Ça ne viendra pas forcément tout de suite, mais ça viendra. » Le maître de la terre battue était interrogé sur l’émergence d’un des petits nouveaux de la génération 90’s, qu’il venait de battre : l’Autrichien Dominic Thiem, 20 ans seulement et déjà régulièrement présent dans les grands tournois. « Il a un très bon service, il est très puissant des deux côtés, côté coup droit, côté revers, avait alors analysé l’Espagnol. À l'âge de 17 ans, je n'avais pas un service aussi bon. Au revers, je n'étais pas aussi puissant que lui au même âge. » Les compliments peuvent être à ranger au rayon du politiquement correct, il n’empêche que Nadal a raison : lui comme ses deux acolytes trustant le leadership du classement ATP depuis maintenant une décennie ne sont certainement pas éternels. L’Espagnol n’a certes que 28 ans, mais il a débuté tellement tôt et il use tellement son physique qu’il peut déjà commencer à regarder sa carrière dans le rétroviseur plus que devant lui. Le cas de figure est un peu similaire pour Novak Djokovic, 27 ans. Quant à Roger Federer, s’il repousse admirablement la fin de sa carrière sportive, il sait qu’à 33 ans, les saisons qu’il lui reste sur le circuit sont désormais comptées. Seul l’Allemand Tommy Haas, 36 ans, le bat encore en terme de longévité sur le circuit.
Oui car la génération intermédiaire a laissé passer sa chance
« J’ai longtemps cru que Juan Martin Del Potro allait pouvoir bousculer la hiérarchie. Il est arrivé tellement prometteur sur le circuit, frappant la balle plus fort que tout le monde… Vraiment, j’y croyais. » Et le DTN français Patrice Hagelauer n’était pas le seul à imaginer le colosse argentin au sommet, titillant l’indéboulonnable Top 3. Las, malgré sa victoire à l’US Open 2009, alors qu’il n’était pas encore âgé de 21 ans, il n’est pas (encore) parvenu à concrétiser les espoirs placés en lui. C’est d’ailleurs le grand malheur des joueurs de sa génération, celle d’après Nadal : ni Del Potro, né en 1988, ni Marin Cilic (1988), Ernests Gulbis (1988) ou Fabio Fognini (1987) ne semblent en mesure de jouer autre chose que les faire-valoir, tout juste capables de quelques coups d’éclat sans lendemain. « Même Andy Murray n’a pas la carrière qu’on aurait pu lui promettre, constate Patrice Hagelauer. Il a un temps transformé le Top 3 en top 4 mais il est trop handicapé physiquement pour durer. »
Oui car la nouvelle génération débarque en nombre
Attention, les joueurs nés dans la décennie 1990 commencent à déferler sur le circuit ATP. Les trois les plus installés sont Milos Raonic (né en 1990) et Grigor Dimitrov (né en 1991), qui ont intégré le Top 10 mondial, ainsi que le talentueux mais encore trop inconstant Bernard Tomic (né en 1992, une victoire à Bogota et une finale à Sydney cette saison). Des trois, c’est « Baby Fed » Dimitrov qui épate le plus Patrice Hagelauer : « Il manque encore un peu de physique mais son niveau technique est tout à fait étonnant, déjà parmi les meilleurs. » D’autres nouveaux arrivants encore plus jeunes se sont distingués cette saison : Dominic Thiem donc, 20 ans, finaliste du tournoi de Kitzbühel chez lui en Autriche, l’Américain Jack Sock, 21 ans, victorieux du double à Wimbledon avec Vasek Pospisil (autre jeune né en 1990), ou encore le Tchèque Jiri Vesely, 21 ans, demi-finaliste à Düsseldorf. Mais les deux qui ont fait le plus le buzz en 2014 sont Alexander Zverev l’Allemand, demi-finaliste du tournoi de Hambourg à seulement 17 ans, et Nick Kyrgios l’Australien, quart de finaliste du dernier Wimbledon à 19 ans. Grâce à cette performance, ce dernier est pour l’instant dans les temps de passage d’un certain Novak Djokovic, qui avait aussi atteint son premier quart de finale en Grand Chelem à l’âge de 19 ans, lors de l’édition 2006 de Roland-Garros. Lors du tournoi londonien, Kyrgios a notamment éliminé Rafael Nadal, devenant du même coup le premier joueur de moins de 20 ans à battre un n°1 mondial en Grand Chelem depuis... Rafael Nadal ! « C’est vraiment un tout bon, doté d’un coup droit surpuissant, il est vraiment étonnant, s’enthousiasme Patrice Hagelauer. De cette génération, il est celui sur lequel je miserais le plus. »
Oui mais ça risque de prendre encore un peu de temps
Le DTN du tennis français en est persuadé, « Nadal, Federer et Djokovic sont les joueurs du siècle » : « Sur le circuit féminin, Serena Williams est trop seule, laissant de la place pour que d’autres filles puissent enrichir leur palmarès. En ATP, c’est exceptionnel d’avoir ces trois ‘monstres’ en même temps, c’est pour ça qu’il est si difficile de les déloger. » Quand l’un est moins bien ou blessé, l’autre le remplace et ainsi de suite. Les plus jeunes sont donc contraints pour l’instant de se contenter des miettes et ça pourrait encore bien durer deux ou trois saisons. « Mentalement ce sont des machines et physiquement ils parviennent à s’entretenir », à l’image d’un Federer qui a su intelligemment alléger son calendrier pour privilégier les grands rendez-vous. Mais il faut se souvenir qu’il y a une dizaine d’années, le Suisse est arrivé sur un circuit qui avait longtemps été dominé par l’hégémonie des Sampras et Agassi. Fatalement, le renouvellement devrait prochainement arriver. En attendant, il faut s’armer de patience et profiter du fait que ces trois fantastiques soient encore là à ferrailler entre eux.