L’édition 2014 de Wimbledon n’a pas encore délivré son épilogue, mais il s’agit d’ores et déjà d’un très bon millésime, riche en beaux matchs, en suspense, en surprises… et aussi en records, coups de gueule et petites phrases. Bilan.
Servi frappé !
Il est encore trop tôt pour avancer une explication à un tel phénomène, mais le constat est là : avec déjà 3151 aces enregistrés dans le tableau masculin, cette édition s’avère la deuxième plus prolifique depuis qu’IBM en fait le compte, soit 1992. Et il reste encore trois matchs pour tenter de battre le record établi en 2010 (3259), année de l’aberration statistique représentée par le Isner / Mahut et leurs 215 aces en une seule rencontre. Plus globalement, sur le plan du jeu, ce Wimbledon a – enfin – repris des allures de tournoi sur gazon, où d’innombrables sets serrés basculent sur un seul point (cf Kyrgios – Nadal, Wawrinka – Lopez…), où le moindre set concédé d’entrée par étourderie coûte illico la manche (Raonic – Nishikori, Djokovic – Cilic), et où la surface verte se révèle plus favorable qu’ailleurs à l’éclosion de jeunes pousses (avec Dimitrov, Raonic et Kyrgios en quarts, et les deux premiers au moins en demies, c’est la première fois que trois joueurs nés dans les années 1990 brillent collectivement dans un même Grand Chelem). Bref, cette année, Wimbledon s’est de nouveau mis à ressembler à Wimbledon. Et ça fait plaisir.
Lleyton Hewitt, le 42e round
Plus rafistolé que Rocky, Lleyton Hewitt a pourtant toujours l’œil du tigre. En bon fan de Stallone et de la saga consacrée à l’étalon italien, l’ancien n°1 mondial va certes souvent au tapis, mais il se relève toujours. Battu au deuxième tour par le cogneur fou Jerzy Janowicz, l’Australien en a profité pour s’adjuger un record dans l’ère Open : celui du nombre de matchs en cinq sets disputés en Grand Chelem. Hewitt en est maintenant à 42 (sans parler de ses 10 supplémentaires en Coupe Davis par BNP Paribas). Il laisse derrière lui quelques poids lourds de l’histoire du tennis : Agassi (41), Lendl (39) et Sampras (38). En ce qui concerne les victoires lors de ces matchs en cinq sets, seul le pur-sang gréco-américain le devance encore : Sampras en a gagné 29, Hewitt 26.
A la santé de Maria Sharapova
« Si quelqu'un m'avait dit que je gagnerai plus de Roland-Garros que n’importe quel autre Grand Chelem, je lui aurais répondu : "Mais vous êtes saoul !" » Que nenni : non seulement Maria Sharapova a bien gagné deux fois Roland-Garros, contre un titre unique dans chacun des trois autres tournois du Grand Chelem, mais l’inversion au fil des ans de ses courbes de performances entre Roland-Garros et Wimbledon est spectaculaire. A mesure qu’elle progressait sur terre battue, la Russe, qui avait ouvert son palmarès à Londres en 2004, s’est faite de plus en plus discrète sur gazon. Sa récente défaite en huitièmes face à Angelique Kerber n’est que la continuité logique des déceptions face à Michelle Larcher de Brito (deuxième tour, 2013), Sabine Lisicki (huitièmes, 2012) ou, un peu plus tôt, Alla Kudryavtseva (deuxième tour, 2008) et Gisela Dulko (deuxième tour, 2009). Dans le même temps, Maria Sharapova a signé deux titres, une finale et une demie ces quatre dernières années à Roland-Garros. Maria, reine de l’ocre et allergique à l’herbe… Prosit !
USA : hommes, femmes, même combat
On savait déjà que le tennis masculin américain filait un mauvais coton. Voilà que les filles se mettent elles aussi à trébucher. Alors qu’elles comptent dans leurs rangs deux immenses championnes, les sœurs Williams, ainsi qu’un large éventail de jeunes prometteuses (Sloane Stephens, Madison Keys, Coco Vandeweghe, Christina McHale, Victoria Duval…), ces demoiselles sont inexplicablement passées à travers collectivement, au point qu’aucune d’entre elles n’a franchi le cap du troisième tour. Et comme, chez les hommes, John Isner ou Sam Querrey n’ont pas été en mesure de faire mieux, l’incroyable s’est produit : le tennis américain n’a eu aucun représentant en deuxième semaine de Wimbledon cette année, pour la première fois depuis… 1911, à une époque où les Américains rechignaient à prendre le Transatlantique pour venir jouer en Europe !
Kyrgios, de Smith à Nadal
A 19 ans, Nick Kyrgios s’est spectaculairement révélé au monde durant ce Wimbledon : quart de finaliste du tournoi après avoir sauvé 9 balles de match contre Richard Gasquet et estourbi Rafael Nadal en quatre sets et 37 aces, l’Australien était pourtant bien parti pour ne pas disputer le tournoi. Battu au premier tour du Challenger de Nottingham par son compatriote John Patrick-Smith, 198e à l’ATP, Kyrgios pensait en effet « rentrer en Australie » : « J’étais en Europe depuis la saison de terre battue, je n’avais pas gagné beaucoup de matchs… Le bilan était mitigé. » Mitigé… et accentué en outre par la décision prise de se séparer de son coach, Simon Rea, à son retour au pays. Il décide pourtant de rester à Nottingham une semaine de plus, et d’y enchaîner un second Challenger. Inscrit à la dernière minute, il doit en passer par les qualifications, les survole, gagne le tournoi en battant trois joueurs mieux classés que lui… et, conséquence de cette victoire, reçoit une wild-card des organisateurs de Wimbledon. Son permis de tourmenter les meilleurs mondiaux.
Nadal, Kyrgios et Maman
Instant revanche pour Nick Kyrgios après ladite victoire sur le n°1 mondial Rafael Nadal : « Un peu avant le match, j’avais lu une interview de ma mère, qui disait que Nadal était trop fort pour moi. Cela m’a un peu énervé et, finalement, ça m’a aidé à produire un tennis extraordinaire. » Pour mieux faire enrager sa maman… et, au fond, la rendre fière. Mais surtout la faire enrager : « La première chose que j’ai faite après le match, ça a été de lui envoyer un texto. Je n’ai rien écrit dedans. J’ai juste mis un smiley. C’était suffisant ! »
Sabine Lisicki, Wimbledon addict
Qui a dit que la notion de spécialiste avait disparue du tennis féminin ? Sabine Lisicki en est la personnification : spécialiste de gazon… et, plus encore, de Wimbledon. Avec une finale, une demie et trois quarts lors de ses cinq dernières participations au tournoi, l’Allemande est la joueuse la plus brillante à n’avoir pas été titrée à Wimbledon ces dernières années. Pas mal pour une jeune fille qui attend toujours de disputer un premier quart dans l’un trois autres Grands Chelems… « Je ne m’explique pas pourquoi j’aime tellement ce tournoi. C’est génial de jouer ici. Les gens connaissent mon histoire. Mon premier bon résultat en Grand Chelem, c’est ici. C’est ici que j’ai signé mon retour après ma blessure (à la hanche, en 2010, alors qu’elle était tombée au-delà de la 200e place mondiale, ndlr). Et puis il y a ma finale l’an dernier. Il y a déjà une longue histoire entre ce tournoi et moi ! » Aussi longue que la liste de ses prestigieuses victimes au All England Club : Serena Williams, Maria Sharapova, Li Na, Agnieszka Radwanska, Marion Bartoli, Svetlana Kuznetsova, Caroline Wozniacki, Ana Ivanovic, Samantha Stosur…
Fognini, son (sale) caractère n’a pas de prix
Classé 15e dans la hiérarchie mondiale, il est un classement pour lequel Fabio Fognini trône largement en tête : celui des sanctions financières pour outrages divers et variés au code de bonne conduite tennistique. Au premier tour de Wimbledon, face à l’Américain Alex Kuznetsov (qu’il a battu), l’Italien a signé un nouveau record sur un match en écopant de 29 500$ d’amendes, à décomposer ainsi : 2 500$ pour « obscénités visuelles » (et non « verbales », soit plus dans le registre du doigt d’honneur que de l’insulte), 2 500 pour « verbal abuse », 5 000$ pour « manque de sportivité » et 20 000$ pour avoir fracassé sa raquette sur le sacro-saint gazon londonien, qui revient si cher à l’entretien. Autrement dit, une journée bien remplie dans la vie de Fabio Fognini, qui a préféré hausser les épaules : « Je resterai toujours le même. C’est mon côté mauvais garçon qui ressort… Qu’est-ce que je peux y faire… Je suis différent. Désolé si ça ne plaît pas ! »
Berdych n’a pas vu la lumière
« Vous devez être encore plus fort que le hawk-eye puisque vous voyez dans l’obscurité ! » Acerbe, Tomas Berdych, alors que l’arbitre de son troisième tour contre Marin Cilic avait décidé de faire le forcing pour terminer la rencontre, quoi qu’il arrive… et même à la nuit tombée. Joueur du Top 10 le plus habitué aux programmations ingrates, tôt le matin ou tard le soir (à égalité avec David Ferrer), le Tchèque n’est pas parvenu à se dépêtrer à la fois de sa frustration et d’un Marin Cilic des grands jours. Mais plus que la victoire du Croate (7/6 6/4 7/6), ce que l’on retiendra, c’est l’horaire affiché sur l’horloge après la balle de match : 21h38. Soit la fin de match la plus tardive jamais vue à Wimbledon, hors cas particulier du toit déployé sur le Centre Court… et son éclairage artificiel.
Knockin’ on heaven’s door
Wimbledon entretient une relation particulière avec la tradition : arc-bouté sur certains détails (le blanc, les fraises, le « middle Sunday » sans tennis…), il n’hésite pas par ailleurs à entamer des révolutions proches du crime de lèse-majesté si ses intérêts vont en ce sens (surface ralentie, Central couvert…). Une autre coutume va cesser d’exister dès ce week-end, à l’occasion des finales dames et messieurs : celle de l’escalade des tribunes par le tout frais champion, pressé d’aller éteindre les siens dans les gradins. Lancée par Pat Cash en 1987, reprise ensuite par Goran Ivanisevic (2001), Rafael Nadal (2008) ou, pas plus tard que l’an dernier, par le couple gagnant Marion Bartoli et Andy Murray, cette démonstration d’exubérance sera a priori rendue obsolète ce week-end, une « porte des champions » ayant été construite à même le Centre court, afin de leur permettre d’accéder directement à leur box. « Comme si un vainqueur de Wimbledon n’était pas assez agile pour escalader les gradins, a ironisé Pat Cash. Quand on gagne Wimbledon, on a besoin d’extérioriser toute cette énergie. L’escalade fait partie du moment de communion avec les amis et les proches. » Les vainqueurs ce week-end auront-ils la lucidité d’emprunter la porte, ou un membre du protocole devra t-il la leur indiquer ?