Le jour où Ilie Nastase est devenu « Nasty »

22 mai 2014 à 00:00:00

Le jour où Ilie Nastase est devenu « Nasty »
Avant de devenir le joueur le plus drôle de l’histoire, Ilie Nastase gagnait ses matchs sans heurts ni contestation. Le jour où tout a basculé ? La finale 1971 du tournoi de Nice (qui commence cette semaine) face à Kodes. Souvenirs.

Avant de devenir le joueur le plus drôle, dingue ou irritant de l’histoire, c’est selon, Ilie Nastase gagnait ses matchs sans heurts ni contestation. Le jour où tout a basculé ? La finale du tournoi de Nice (qui commence cette semaine), en 1971, face au Tchécoslovaque Jan Kodes. Souvenirs.

 

« Nice est un  paradis pour les tous les joueurs de tennis ». Mariage de soleil, de culture anglaise et de sublimes courts en terre battue, Nice est pour Suzanne Lenglen la ville de ses premiers amours. C’est ici qu’au début du XXe siècle, la « Divine » découvre les leçons de tennis alors qu’elle passe ses hivers en villégiature dans la villa familiale. L’histoire raconte même que c’est en observant les Anglais venus disputer des tournois de printemps sur la Côte d’Azur que son père a l’idée folle d’en faire une championne. Légende roumaine des seventies, Ilie Nastase a lui aussi longtemps goûté au charme de la « capitale » de la Riviera. Mais ses souvenirs locaux sentent d’avantage le parquet, le strike et la boule morte. « Quand j’étais résident à Monaco, le Prince Albert me demandait régulièrement d’aller avec lui jouer au bowling tard dans la nuit à Nice, plus bas sur la côte, se remémore l’intéressé dans son autobiographie. Nous étions très amis. Je l’appelais Albert ou colonel Bébert, parce qu’il s’exprimait avec un léger bégaiement. »  Nous sommes au début des années 1970, et Nastase, à peine 25 ans, raffole déjà des virées entre copains, des amours d’un soir et du champagne rosé. Sur le court pourtant, c’est l’un des athlètes les plus redoutés du circuit. Redouté pour son jeu complet, mais pas encore pour son tempérament, ses running gag et son charisme. Patience. « J’ai mis du temps à devenir un grand joueur parce que j’ai mis du temps à me mettre en colère. Peut-être par timidité, explique-t-il dans son livre Monsieur Nastase. Mais quand j’ai commencé à me mettre en colère, alors j’ai commencé à bien jouer. Et quand je jouais bien, je pouvais battre n’importe qui. Je suis peut-être la seule personne heureuse d’avoir passé une bonne partie de sa vie en colère. »

 

« Personne ne s’intéressait encore  à moi » 

 

Après un excellent premier trimestre 1971, qui le place définitivement parmi les plus grands du tennis mondial, Nastase se rend à Nice début avril pour préparer le tournoi de Roland-Garros. Les premiers tours sont une formalité. Sa route vers la victoire semble toute tracée. En finale, le Roumain est opposé à celui qui deviendra son plus grand adversaire en nombre d’oppositions : Jan Kodes. Plus taiseux, le Tchécoslovaque est un excellent joueur de terre battue qui porte fièrement la (fine) moustache. Le match est disputé. Mené 5-2 dans les deux premiers sets, Nastase réussit à revenir à chaque fois dans la partie. Son astuce ? Pousser pour la première fois de sa carrière un adversaire à la crise de nerfs. Au sortir d’un échange éprouvant, il interrompt la partie pour s'attaquer à un ramasseur de balles. La raison ? Malgré les consignes de Nastase, qui ne supporte pas de jouer un second service avec la même balle faute que le premier, l’enfant vient de foncer au filet pour lui rapporter le porte-malheur. Suffisant pour perdre quelques minutes. Sur les points importants, il n’hésite pas non plus à ralentir le jeu, se plaindre à tout bout de champ, s’amuser de la foule et tester la résistance mentale de son opposant. Bonne pioche : alors qu’il mène 7 jeux à 6 dans la deuxième manche, Kodes manque une sixième balle de set et s’en va enfiler sa veste. « Je pars », hurle-t-il à l’arbitre. Il faut l’intervention d’un proche pour l’en dissuader. Mais le cœur n’y est plus. Kodes est « sorti de son match », comme le veut l’adage, et s’incline finalement 10-8 11-9 et 6-1 dans la troisième manche. « Il est absolument lamentable qu’un joueur aussi doué que Nastase utilise de tels procédés, vocifère-t-il après la rencontre. Nous sommes là pour jouer au tennis, pas pour faire du cinéma ». Même son de cloche auprès de la presse spécialisée, qui évoque « un malaise » et un comportement « inadmissible ». Droit dans ses bottes, le vainqueur du tournoi théorisera des années plus tard dans son autographie : « En vérité, même si j’ai toujours eu un caractère d’enfant, cela ne m’a pas attiré plus d’ennuis que cela à ce stade de ma carrière, peut-être parce que mon jeu ne cessait de s’améliorer et que je ne ressentais aucune pression. Aussi, je n’étais pas encore un ‘gros nom’. J’avais déjà gagné quelques titres, certes, mais personne ne s’intéressait encore  à moi. » 

 

« Un certain amateurisme »

 

Si les saillies des journalistes et des observateurs du tennis sont rudes, Nastase peut s’estimer heureux : de nos jours, ce genre de simagrées aurait certainement été puni d’une disqualification. Mais autres temps, autres mœurs. En 1971, rares sont les arbitres à avoir déjà exclu un joueur pour son comportement. Une tâche rendue difficile par l’absence de règles précises en la matière. C’est à cette époque que l’idée d’un code de conduite commence à germer dans l’esprit de l’association des arbitres américains, avec l’instauration progressive d'un système gradué de sanctions : un premier avertissement, puis un point de pénalité, un jeu de pénalité et in fine une disqualification. Dans le livre Carnet de Balles, Jacques Dorfmann, ancien juge arbitre de Roland-Garros, consacre un chapitre à ce flou artistique : « Dans les années 1970, le tennis, comme les autre sports, étant en train de se professionnaliser, le folklore devait finir. Les doigts dans le nez, les arbitres qui crient ‘faute’ au lieu de ‘out’, etc. Une année, j’avais un haut magistrat parmi mes juges de ligne. Certains assurent l’avoir vu dormir pendant un match de Borg. Cela ne pouvait plus durer. Tout cela a mis fin à ce qui pouvait s’apparenter à un certain amateurisme ». Avant de désigner le coupable idéal : « Un joueur étranger comme Nastase n’est sans doute pas étranger à l’arrivée du code de conduite et de son évolution (…) Je ne suis pas contre le code de conduite, mais je l’ai souvent mis de côté. Cela permet d’instaurer des garde-fous, mais il ne résout rien. Quand vous avez Nastase qui ouvre le frigo qui se trouve en-dessous de la chaise d’arbitre et qui distribue des boissons à tout le monde dans le public, vous ne pouvez rien faire ! » Jan Kodes non plus n’a jamais trop su comment composer avec le jeu d’acteur, les pitreries et les effets de manche de son grand rival. Quelques semaines après cette aventure niçoise, il s’incline de nouveau face au Roumain en finale de Roland-Garros. Une partie d’anthologie durant laquelle Ilie régale d’un plongeon lors d'une belle passe d’armes entre les deux joueurs au filet. Bon joueur, et peut-être même amusé, Kodes est alors mis à contribution pour enlever à coup de serviette la terre battue du polo de son adversaire. Le public est hilare. Un amuseur est né. « C’est moi qui suis le plus embêté, le plus déconcentré. Je joue avec la même balle que mon adversaire, mais en plus, je fais des tas de trucs qui gênent mon jeu : il faut en plus que je me détende, que je me concentre, que je gagne le point, que je parle avec l’arbitre, que je rigole, etc. Ce n’est pas facile de faire tout ça à la fois quand vous avez en face de vous l’un des meilleurs joueurs du monde, écrit Nastase dans ses mémoires. A cette époque, il n’y avait aucune règle. Nous vivions dans une sorte d’anarchie. Le code de conduite n’est véritablement appliqué qu’à la fin de l’année 1975. Je ne pensais pas encore que j’aurais encore quelques années de liberté devant moi… »

 

Par Victor Le Grand

Avantages

Découvrez les avantages WE ARE TENNIS

En savoir plus