Pourquoi tant de blessés si tôt dans la saison parmi le Top 10 ?

9 mai 2014 à 00:00:00

Censés être protégés, la plupart des meilleurs joueurs mondiaux sont passés par la case infirmerie après seulement quatre mois de compétition en 2014. Comment cette cascade de blessés est-elle possible? Explication… en trois sets.

Rafael Nadal, dos ; Novak Djokovic, poignet ; David Ferrer, adducteurs ; Juan Martin del Potro, poignet ; Richard Gasquet, dos ; Milos Raonic, pied… Censés être protégés par les avantages de leur statut de Top 10 (pas de pression d’ordre pécuniaire, exemptions de premiers tours…), la plupart des meilleurs mondiaux présentent déjà un carnet de santé bien rempli au bout de quatre mois de compétition en 2014. Comment cette cascade de blessés est-elle possible? Explication, en trois sets… comme autant de responsables.

 

1/ Le calendrier : il n’a jamais été si dense

 

Une précision, d’abord : oui, les meilleurs jouent globalement moins de matchs que leurs aînés du XXe siècle. Mais un constat demeure : la saison masculine débute dès janvier par un sommet hors catégorie, l’Open d’Australie, et s’achève en fanfare en novembre, sur le Masters et/ou la finale de Coupe Davis par BNP Paribas. Contrairement aux autres sports individuels, le grand barnum de l’ATP ne range donc jamais très longtemps son chapiteau, et le mot « saison » ne veut finalement pas dire grand-chose tant l’intervalle est mineur d’une année à l’autre. Au contraire, l’instauration d’un critère de participation obligatoire aux tournois Masters 1000, au milieu de la décennie passée, a contribué à multiplier les temps forts tout au long d’un exercice. Quatre tournois du Grand Chelem, un Masters de fin d’année, neuf Masters 1000 (même si Monte-Carlo a perdu son caractère obligatoire en 2009) et deux ATP 500 : riche de tant de contraintes, le calendrier de ces messieurs n’a jamais été aussi dense, et les vraies plages de repos aussi faibles.

 

Voulue par l’ATP afin d’exister de manière plus flagrante face aux monuments du jeu que sont les Grands Chelems, cette réforme a radicalement modifié la physionomie de la saison : fini le libre arbitre des joueurs pour établir un calendrier à leur convenance, se préserver des pauses, esquiver une surface détestée, privilégier leur propre pays (ou continent) plutôt qu’enchaîner les déplacements aux quatre coins du monde… Ayant fait la prospérité des Masters 1000, tous assurés de leur quota d’affrontements entre les stars du jeu, la décision a en revanche appauvri le plateau des ATP250, qui doivent rivaliser d’ingéniosité pour attirer les meilleurs… quand ceux-ci ne sont pas sur le carreau, en train de soigner leurs bobos.

 

Car là où les petits tournois étaient une préparation, une montée en puissance, voire un terrain d’expérimentation en vue de plus grosses échéances, les enjeux pour les champions actuels sont tout autres en Masters 1000, où ils multiplient les rencontres avec leurs rivaux directs pour la victoire en Grand Chelem. La lutte au sommet ne connaît donc plus de temps morts. Il faut être prêt, toujours, en bon boy-scout : une quinzaine de rendez-vous « seulement » imposés à l’agenda des vedettes du jeu ? Certes, mais une quinzaine où il faut être à fond, tout le temps, où un niveau de jeu aléatoire ne suffit pas.

 

Avec l’adoption de ce calendrier bien plus rigide que par le passé, les joueurs ont tout simplement perdu la liberté d’écouter leur corps. Mais l’idée d’une marche arrière fait petit à petit son chemin : « Il y a des choses à revoir aujourd’hui, une réflexion à mener avec les joueurs, qui sont demandeurs, mais aussi avec l’ATP, estimait le directeur de l’Open 13 Jean-François Caujolle en février, devant la cascade de forfaits enregistrée parmi les Tops 10 engagés dans son tournoi de Marseille. Je ne vois pas d'autres solutions qu'une refonte du système de classement, des obligations des joueurs. Il faut libérer le circuit, que les joueurs soient libres de jouer où ils veulent, quand ils veulent. Il faut ouvrir le classement. »

 

2/ Le jeu : il n’a jamais été aussi éprouvant

 

Cela paraît d’autant plus indispensable que le tennis n’a jamais aussi éprouvant physiquement que de nos jours, le jeu ayant été durci depuis dix ans, à coup de surfaces ralenties et de cordages miraculeux qui rallongent les échanges en même temps qu’ils pardonnent retards de placement et erreurs de centrages… Richard Berger, le chirurgien qui vient d’opérer le poignet de Juan Martin del Potro, a un avis tranché sur la question : « Je crois qu’aujourd’hui on peut affirmer que tous les sportifs de très haut niveau expérimenteront à un moment ou à un autre des blessures suffisamment importantes pour les écarter des terrains durant une assez longue période. Non pas que leurs aînés étaient mieux préparés qu’eux, mais je pense que l’intensité réclamée dans l’exercice de leur discipline impose aux joueurs actuels d’être dotés de capacités surhumaines. »

 

De plus en plus habitué à voir défiler des tennis(wo)men dont les ligaments ou les tendons crient grâce, le chirurgien, qui a soigné la même blessure chez l’Anglaise Laura Robson, détaille : « Le corps doit absorber l’impact supersonique de la balle et les effets ajoutés comme le lift. A chaque frappe, le transfert d’énergie se ressent sur l’ensemble du corps : les jambes, la colonne vertébrale, le bras, l’avant-bras, le poignet… Arrive un moment où l'intégrité structurelle de l'une ou l’autre de ces parties du corps est mise en péril, où les tissus ne peuvent plus suivre. C'est là que la blessure survient. »

 

Il y a vingt ans, Goran Prpic jouant avec une énorme genouillère faisait figure d’Elephant Man. Aujourd’hui, plus personne ne s’étonne de voir nombre de joueurs et joueuses – et pas les plus âgés, ni les plus brutaux avec la balle, n’est-ce pas Agnieszka Radwanska - disputer une saison entière avec de multiples straps à l’épaule, à la cuisse… Certains, comme Juan Martin del Potro ou Rafael Nadal, ont même acté le fait que leur carrière s’effectuera au détriment de leur propre santé, parsemée de périodes d’interruption qui, en cumulé, ne se comptent même plus en mois, mais en années…

 

3/ Les joueurs : ils ne savent plus s’arrêter

 

Il est loin le temps où Jimmy Connors ou Pete Sampras n’hésitaient pas à prendre des vacances dès lors qu’ils en ressentaient le besoin, par lassitude physique ou morale. Les champions actuels portent leur part de responsabilité dans cette accumulation de blessures en haut de la pyramide : malgré des ‘prize money’ en perpétuelle augmentation et des contrats publicitaires les mettant à l’abri du besoin, la peur des amendes financières et comptables (un zéro pointé dans leur décompte de points ATP, comme un bulletin de notes à l’école) prévues en punition d’une absence non justifiée à un tournoi obligatoire, est bien souvent la plus forte.

 

A l’écoute de leur organismes, rares sont les horlogers suisses à la Roger Federer ou Stanislas Wawrinka, adeptes de calendriers cohérents et aérés... et récompensés de cette prévenance par l’absence de graves blessures à l’échelle de leur carrière. Depuis le mois de janvier, un Rafael Nadal a par exemple déjà joué sept matchs de plus que Wawrinka (30 contre 23), alors même qu’il doit composer avec une gêne persistante au dos… Comme l’Espagnol, la majorité des membres de l’élite a pris le parti d’aller à la limite, usant (et abusant ?) des anti-inflammatoires ou des infiltrations pour tirer au maximum sur la corde… en attendant le jour où elle cédera et fera forcément des dégâts.

 

Masochisme ? Vu de l’extérieur, pas loin. Mais il faut bien comprendre à quel point la donnée de la blessure est intégrée par les joueurs. Elle fait partie de leur vie. Comme l’entraînement ou le régime alimentaire strict, la douleur fait partie du quotidien. Rafael Nadal met des mots très justes sur cette acceptation de l’usure physique précoce : « Le sport au niveau professionnel est néfaste pour la santé. Il pousse le corps à des extrémités que les êtres humains ne devraient pas avoir à supporter. À un moment de ma carrière, je me suis sérieusement demandé si je pourrais continuer la compétition au plus haut niveau. Je joue avec la douleur la plupart du temps. J’ai dû pousser et modeler mon corps pour l’adapter au stress musculaire répétitif imposé par le tennis, le vouer à supporter les blessures, apprendre à vivre avec la douleur et me plier à des arrêts prolongés parce qu’un pied, une épaule ou une jambe envoie des appels au secours à notre cerveau et réclame du repos. »

 

Ode au fatalisme, donc. Le corps doit s’adapter aux exigences de son propriétaire, et pas l’inverse. Habitué à composer avec la blessure, le tennisman finit par voir dans son corps un outil comme un autre, que l’on triture, que l’on malaxe, que l’on pousse dans le rouge… à l’image d’un pilote automobile sur sa machine. Le corps du tennisman tel une mécanique de haute précision… mais dont le mécano n’écouterait plus les signes de surchauffe.

 

Par Guillaume Willecoq

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