« Je n'arriverai peut-être pas à Roland-Garros avec le statut de favori », a déclaré Rafael Nadal après sa défaite en quart de finale du dernier tournoi de Barcelone, alors qu’il avait déjà échoué au même stade de la compétition à Monte-Carlo la semaine précédente. Peut-il espérer s’imposer aux Internationaux de France sans gagner sur terre battue avant ? Difficilement. En tout cas, ça a rarement été le cas par le passé.
Huit fois vainqueur à Roland-Garros entre 2005 et 2013, Rafael Nadal a toujours débarqué avant ses triomphes parisiens avec au moins un Masters 1000 sur terre battue en poche. Son favori ? Le premier au calendrier, celui de Monte-Carlo, histoire de bien calmer la concurrence : sept fois sur huit, il l’a emporté. Le seul et premier accroc a eu lieu l’an dernier, Novak Djokovic s’imposant en finale face au Majorquin. Il s’était bien rattrapé par la suite en gagnant à Madrid puis à Rome, deux tournois qu’il affectionne également. Mais c’est en 2010 qu’il avait été le plus impressionnant en réalisant le triplé Monaco/Madrid/Rome avant de dominer Robin Söderling en finale à Paris. Il n’y a eu qu’en 2009 que l’impitoyable règne de Rafael Nadal a fait une pause, le temps pour Roger Federer d’enfin conquérir la terre battue de Roland-Garros. Et là aussi, le Suisse avait déjà goûté à la victoire les semaines précédant le début du tournoi du Grand-Chelem, en s’imposant pour la première édition du Masters de Madrid sur terre battue (en lieu et place de l’open d’Hambourg). Résumons la chose : sur la dernière décennie, il a chaque fois fallu remporter un premier gros tournoi sur terre battue pour s’imposer à Roland-Garros. Et avant ? Avant, l’enchaînement est un peu moins évident.
Kuerten en 1997, un ovni
En 2004 par exemple, juste avant que Nadal ne débute son épopée parisienne, c’est Gaston Gaudio qui l’emporte face à son compatriote argentin Guillermo Coria. Or, Gaudio n’était alors que 44e joueur mondial à l’époque et il n’avait jamais gagné un Masters 1000 sur terre battue. Ni cette année-là, ni auparavant (et il n’en gagnera pas de toute sa carrière). Sa victoire à Paris fut donc surprenante, alors qu’il s’était seulement distingué un mois avant en atteignant la finale de l’ATP 500 de Barcelone (défaite contre Tommy Robredo). Mais il faut tout de même se rappeler que cette édition 2004 de Roland-Garros s’annonçait particulièrement ouverte, car aucun joueur n’avait pris le dessus depuis le début de la saison de terre battue. Cas de figure un peu similaire deux ans auparavant où la victoire à Paris était revenue à un autre gros outsider, l’Espagnol Albert Costa, qui n’avait plus gagné un seul tournoi sur le circuit depuis trois ans ! Plus fort encore, le premier titre de Gustavo Kuerten aux Internationaux de France en 1997 était aussi son tout premier titre sur le circuit ATP. Le Brésilien était alors seulement classé 66e mondial. En remontant aux deux dernières décennies, il y a eu trois autres cas de vainqueurs de Roland-Garros qui n’avaient rien gagné sur terre les semaines avant : Andre Agassi en 1999, Ievgueni Kafelnikov en 1996 (excepté un tournoi mineur à Prague) et Sergi Bruguera en 1994, qui avait connu une défaite en finale à Monte-Carlo (face à Andreï Medvedev). Vainqueur en 2003, Juan Carlos Ferrero avait remporté Monte-Carlo auparavant, comme Gustavo Kuerten avant sa victoire en 2001 et comme Carlos Moya en 1998. En 2000, Kuerten avait cette fois gagné à Hambourg. Quant à Thomas Muster, il avait tout gagné sur terre battue en 1995 : Monte Carlo, Rome, mais aussi les tournois plus mineurs de Mexico, Estoril et Barcelone.
L’année de Djoko ? Ou d’un outsider ?
« La terre battue nécessite une préparation bien spécifique sur le plan physique, technique et surtout mental, d’où l’importance d’être performant dès l’ouverture de la saison sur les tournois de préparation à Roland-Garros, analyse le consultant Patrice Dominguez. Un joueur a besoin de confiance, de patience et d'endurance. Surtout, il doit retrouver la science de la glisse propre à cette surface. » Dès lors, les débuts médiocres de Nadal sur terre cette saison le fragilise-t-il fatalement ? « Une chose est sûre, il se retrouve dans une position moins idéale parce qu’il paraît moins en confiance. Il n'a pas pu marquer ses adversaires au fer rouge comme à son habitude », reconnaît Dominguez. Le tableau masculin à Paris pourrait ainsi être plus ouvert que les années précédentes, avec une nouvelle jeune génération intrépide et sans complexe. Les Raonic, Nishikori ou Dimitrov, « moins marqués par les défaites » et moins soumis à l’implacable domination de Nadal. Mais le plus à même de profiter d’une éventuelle méforme de l’Espagnol reste bien sûr Novak Djokovic, qui n’a encore jamais gagné le tournoi du Grand Chelem parisien. Pour prouver qu’il en a définitivement les moyens, à défaut de pouvoir le faire à Madrid, il lui faudra montrer à Rome un encore meilleur niveau qu’à Monte-Carlo il y a quelques semaines (défaite 5/7, 2/6 en demi-finale contre Federer). Pour être raccord avec les statistiques, mieux vaudrait même qu’il remporte ce tournoi pour arriver à Roland-Garros dans les meilleures dispositions pour jouer la gagne…