Né en 1931, John Barrett a quasiment tout connu dans le tennis : l’hégémonie de Rod Laver, le début de l’ère Open, la création de l’ATP, celle de la WTA, les 24 titres de Margaret Court, les duels entre Connors, McEnroe, Lendl et Borg, l’arrivée des soeurs Williams ou encore la toute puissance du trio Nadal-Federer-Djokovic. Bref, l’ancien joueur et célèbre commentateur en a vu des choses au bord des courts de tennis. Alors, lorsqu’il dit que la rencontre jouée entre Margaret Court et Billie Jean King à Wimbledon en 1970 a donné lieu à « l'une des finales les plus dramatiques jamais vues à Wimbledon », on peut faire confiance au bonhomme. Il faut dire que ceux qui ont eu la chance d’assister au spectacle ne sont pas prêts d’avoir oublié ce qu’ils ont vu : une victoire en deux sets (14-12, 11-9) de Court après près de 150 minutes de combat face à une Billie Jean King qui aura sauvé six balles de match avant de rompre sur la septième. Utilisé pour la toute première fois en Grand Chelem à l’US Open quelques semaines plus tard, le tie-break n’existait pas encore pour cette édition de Wimbledon, ce qui a permis aux deux joueuses d’entrer dans l’histoire avec deux records qui tiennent toujours plus de cinquante ans plus tard : celui du premier set le plus long tous sexes confondues en finale de Wimbledon et celui du plus grand nombre de jeux disputés (46) en finale de Wimbledon chez les femmes.
Gazon maudit
La durée, le niveau de jeu ou encore le scénario ne sont pas les seules raisons qui ont fait que ce match est resté dans toutes les mémoires. Trois ans après le duel Drysdale-Taylor, premier match diffusé en couleur à la télévision par la BBC Two, l’affrontement Court-Jean King est la première finale féminine de Wimbledon ayant eu l’honneur d’être vu en couleur, même si le blanc était déjà obligatoire sur les tuniques des joueuses. Les téléspectateurs ont donc (enfin) pu profiter de la belle herbe verte du gazon londonien, mais aussi voir la douleur sur le visage de deux joueuses qui ont disputé la finale toutes les deux blessées. Billie Jean King, souffrait d’un genou ainsi qu’elle a dû faire opérer quelques semaines plus tard et Margaret Court, de son côté, a joué sous injection et avec une cheville strappée. Cela n’a pas empêché l’Australienne, déjà victorieuse de l’Open d’Australie et de Roland-Garros plus tôt dans la saison, de l’emporter face à sa rivale qu’elle avait déjà battue en finale de Wimbledon en 1963 et de réaliser le Grand Chelem en remportant l’US Open quelques semaines plus tard. Depuis, la performance n’a été réalisée que par Steffi Graf en 1988 que ce soit chez les femmes comme chez les hommes.
Meilleures ennemies
Cette finale entre deux membres du Hall of Fame marque aussi le début de la fin de l’une des plus grandes rivalités de l’histoire. Une rivalité qui s’est jouée sur les courts comme dans les coulisses. Côté terrain, Margaret Court et Billie Jean King se sont affrontées à 32 reprises et, à l’image de cette finale à Wimbledon, l’Australienne est souvent repartie avec la victoire (22 victoires, 10 défaites), notamment lors des finales de Grand Chelem où Billie Jean King s’est seulement imposée à l’Open d’Australie en 1968, pour 4 défaites (Wimbledon 1963, US Open 1965, Open d’Australie 1969 et donc Wimbledon 1970, dernier affrontement entre les deux joueuses en finale de Grand Chelem). Reste que si les duels sont restés plutôt courtois sur le terrain, ça n’aura pas forcément été le cas en coulisses, où il n’est pas risqué d’affirmer que les deux femmes ne sont jamais parties en vacances ensemble.
Il faut dire que Billie Jean King s’est rapidement engagée en faveur de l’essor du sport féminin - en étant notamment à l’origine de la création de la WTA - et de l’égalité hommes/femmes. Margaret Court, devenue pasteure pentecôtiste, a fait surtout parler d’elle pour des propos homophobes et des dérapages sur l’apartheid, si bien que plusieurs personnalités du tennis dont BJK ont demandé à ce que le court n°2 de l’Open d’Australie, nommé Margaret Court Arena, soit rebaptisé : « Je suis une femme gay. Si je devais jouer aujourd’hui, je ne jouerais pas sur ce court. Jusqu’à présent ça allait jusqu’à ce qu’elle dise tant de choses péjoratives à l’égard de ma communauté. Je ne pense pas que ce soit approprié d’avoir son nom sur le stade. » Toutefois, les deux joueuses se sont unies le temps de la “Bataille des sexes” en 1973 lorsque Bobby Riggs, un ancien tennisman de 55 ans, a déclaré que « le tennis féminin est inférieur à celui pratiqué par les hommes. Aucune joueuse en activité ne pourrait jamais venir à bout d'un retraité. » Et s’il n’a fait qu’une bouchée de Margaret Smith Court (6-2, 6-1), il a, en revanche, subi la loi d’une Billie Jean King plus motivée que jamais (6-4, 6-3, 6-3) devant 30 000 spectateurs à Houston. S’il n’y a pas eu de titre comme à Wimbledon, cette victoire restera finalement bien plus importante pour le développement et la reconnaissance du tennis féminin dans le monde.