Pascal Maria : « Je vais toujours 25 fois aux toilettes avant un match »

26 juin 2012 à 14:47:50

Tous les gourmands de tennis connaissent ce visage arrondi et cette calvitie naissante : Pascal Maria, 39, ans, niçois, détenteur d’un BTS en maintenance industrielle et papa d’une petite Luna. Arbitre professionnel...

Tous les gourmands de tennis connaissent ce visage arrondi et cette calvitie naissante : Pascal Maria, 39, ans, niçois, détenteur d’un BTS en maintenance industrielle et papa d’une petite Luna. Arbitre professionnel depuis 2002, il est assurément le plus connu des professionnels français et même l’un des meilleurs au monde. Rencontre.

Quand on est petit, on rêve d’être l’indien ou le cowboy, le gendarme ou le voleur. Mais jamais l’arbitre de tennis… On ne naît pas pour devenir arbitre. Moi je voulais être pilote de ligne ou vétérinaire…   Quelque chose ne s’est apparemment pas passé comme prévu... Je jouais énormément au tennis quand j’étais jeune mais je me suis vite aperçu que mes qualités étaient limitées. Et puis il s’avère que dans ma région niçoise, j’avais deux arbitres chevronnés : Jean-Philippe Merlet et Bruno Rebeuh, qui m’ont donné cette fibre. Or, le rêve de tout jeune joueur français est d’aller un jour à Roland Garros. Alors, je me suis dit : « Pourquoi ne pas y arriver en tant qu’arbitre ? » De fil en aiguille, on passe des examens nationaux, internationaux, pratiques et théoriques. On est sur une chaise, on arbitre, on emmagasine de l’expérience. Ensuite on passe des tests écrits pour les règlements, comme les avocats et leurs textes de loi…   Vous avez commencé l’arbitrage en 1995. En 2001, vous passez « badge or », soit la plus haute distinction dans l’arbitrage du tennis. Ok, mais avant, que faisiez vous ? J’ai un BTS dans la maintenance industrielle. C’est tout ce qui touche à la physique appliquée… Euh, comment dire, ça peut partir du groupe électrogène à la machine à fraise…   Vous avez déjà tripoté un groupe électrogène ? Non, du tout. J’ai fait mon BTS et durant les vacances scolaires, mes collègues niçois travaillaient souvent au bord de la plage. Moi, de mon côté, j’ai pris une valise et je suis allé arbitrer des tournois non professionnels en tant que juge de ligne. On gagne très peu de sou à ce niveau-là. Enfin même à mon niveau… (Rires) Et dès que j’ai fini mes études, je suis parti 6 mois outre-Manche pour apprendre l’anglais. En revenant, j’ai repris ma valise et j’ai fait le globe-trotter durant deux ans - dont une pour prendre du bon temps – en arpentant les tournois, toujours pour déboucher dans le milieu.   Non sans une pointe d’ironie, vous dites gagner « très peu de sou ». C’est à dire ? Non, non, je n’ai jamais dit ça.   Si, vous venez juste de le dire… Ah non ! (Sourire). Mais ce que je peux vous affirmer c’est que nous sommes très loin du salaire des tennismen.   Pour en revenir au jeu, quelle est la différence entre un bon et un mauvais arbitre ? Je pense que pour être un bon arbitre, il faut avoir beaucoup de diplomatie. Un bon œil, voir la balle, tout ça, ça aide… mais je ne pense pas que ce soit primordial. Moi je privilégie la communication à la technique : savoir faire accepter et expliquer ses décisions. Sans crédibilité, impossible de vendre vos annonces. Le plus beau compliment qu’on puisse faire à un arbitre, c’est de ne pas se souvenir des matchs qu’il a arbitrés. Les stars, ce sont les joueurs. Ce sont eux qui écrivent l’histoire.   Mais aujourd’hui, avec la technologie… (Il coupe) Cela ne veut rien dire ! Passée la technologie, il y a plein de choses : il faut savoir annoncer une balle au bon moment, rejouer le point ou non. C’est un outil très agréable, qui enlève les conflits. Beaucoup de conflits on va dire.   Comment avez-vous donc accueilli l’arrivée du Hawk-Eye en 2006 ? On était sceptique. On voulait savoir comment tout cela allait fonctionner et être calibré. Moi j’ai commencé sans le Hawk Eye : il faut désormais apprendre à être désavoué pendant un match, et non après. Maintenant, c’est bien, ça corrige les erreurs, mais est-ce que ça ne dénature pas un peu le jeu de tennis ?   C’est à dire ? Quand je vous parle de John McEnroe, vous vous souvenez de ce qu’il a gagné ou de ses frasques arbitrales ?   Un peu des deux… Un peu des deux ! Vous savez, on est tous un peu maso nous les arbitres ! Ce n’est pas la dispute ou le « pétage » de plomb qui me manque, mais le charme, le contact, l’arbitrage pur de faire admettre au joueur sa décision. On peut parler du foot et des erreurs d’arbitrage, force est d’admettre que les gens en parlent parce que les fautes font vivre ce sport.   Quelle est votre préparation mentale et physique avant une rencontre ?   Boire beaucoup d’alcool. (Rires). Non, je vais toujours 25 fois aux toilettes avant un match ! Pour deux raisons : cela me permet de me libérer, de me concentrer un peu mais j’ai surtout peur d’avoir envie pendant un match. La dernière goutte doit toujours être pour les…   Encore aujourd’hui, vous avez le trac ? Bien sûr ! Il me faut trois points avant d’entrer dans un match. Toujours. Durant ce laps de temps, on va dire que je mouille ! Une fois les trois points joués, une bulle se forme et je rentre dans ma partie.   Comme les joueurs, vous avez sûrement des petites superstitions pour vous permettre de rester dans votre « bulle » ? Je ne suis pas superstitieux. Il y a des arbitres qui gardent la même pièce pour le tirage au sort durant toute leur carrière. Moi j’en ai une nouvelle à chaque fois. Je les paume ou les dépense !   Vous êtes donc moins toqués que les joueurs… Moins que Nadal, j’espère. Il me donne la nausée parfois !   En plus, du haut de votre chaise, vous êtes assurément le mieux placé pour vous délecter de ses nombreux tocs… Ça me subjugue ! Je me souviens aussi du Danois Kenneth Carlsen: durant un changement de côté, il avait sorti une dizaine de paire de chaussettes, toutes les mêmes, toutes blanches, en essayant de trouver la bonne. Quand j’ai vu ça, je me suis dit : « Hop, hop, hop ». Imaginez-le quand j’ai annoncé « Time »…   Cela fait 17 ans que vous arbitrez au plus haut niveau. Aujourd’hui, n’est-ce pas épuisant de concilier vie de pérégrin et vie de famille ? Déjà, il faut trouver la femme idéale - je l’ai trouvée - qui accepte votre absence et votre indépendance. Elle m’a toujours connu comme cela, donc c’est un rituel. On a une vie d’hôtel mais nous on ne perd jamais au premier tour.   Vous fréquentez donc les joueurs jusqu’au bout du tournoi. Enfin, pas vraiment puisque cela vous est interdit… Ce n’est pas qu’on n’a pas le droit, mais nous avons un code de conduite qui est très strict là-dessus.   Vous mangez aux mêmes tables, vous dormez dans les mêmes hôtels… C’est une certaine forme d’hypocrisie, non ? (Il s’agace) Quand vous bossez au sein de votre rédaction, vous n’avez pas forcément envie de revoir vos amis de bureau après votre journée de travail, non ? Bon. Les joueurs sont plus ou moins des collègues de travail donc quand on termine une journée de boulot, on n’a pas envie de les recroiser pour bouffer. Et eux non plus de toute manière.   Vous avez tout de même le droit de prendre l’ascenseur ensemble ? Oui, bien sûr (Rires). Moi je connais des Français, des étrangers, Federer sait le nom de ma fille… On vit ensemble, on se voit tout le temps. Il nous arrive de nous arrêter deux minutes mais ça s’arrête là : « Bonjour, ca va, oui, non, tu arbitres mon match aujourd’hui ? Bon, ok, à demain ». Vous, journaliste, vous parlez d’eux. Moi je les juge ! C’est très différent. Le jour où je prendrai un parti pris, il sera temps d’arrêter.   Propos recueillis par Victor Le Grand  

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