« C’est une personne dangereuse, qui n’a plus rien à faire dans ce sport de gentlemen ». Il y a dix jours, après s’être fait agresser par le père de Bernard Tomic, dont il est le partenaire d’entrainement, les confessions de Thomas Drouet ont secoué le monde du tennis. Sparring-partner, une profession vraiment dangereuse ? L’occasion en tout cas d’en savoir plus sur ce métier de l’ombre.
« Et là il me met un gros coup de boule ». Le diagnostic est lourd : arcade sourcilière ouverte, cervicales amochées, perte de connaissance et fracture du nez. Dans une interview fleuve accordée à L’Equipe, Thomas Drouet raconte son agression survenue le samedi 6 mai dans un hôtel de Madrid, en marge du tournoi de tennis masculin. Son assaillant ? Le père du joueur australien Bernard Tomic, dont il est le sparring-partner. Motif : le joueur français aurait refusé de lui rapporter une bouteille de lait. Des sensations pures. « Je connais la version de Thomas parce qu’on s’est vu à Marseille pendant le tournoi. L’entente était très difficile, il n’était pas toujours payé comme il fallait. Depuis le début c’est compliqué. Il est fêlé le père », analyse Erick Counil, sparring-partner intérimaire de Jo-Wilfried Tsonga. « Je pense que le père est fou », partage aussi Hugo Lecoq, entraineur national à la Fédération Française de Tennis (FFT) et ancien partenaire d’Amélie Mauresmo ou Tatiana Golovin. Selon lui, la plupart du temps, aucun contrat ne lie le joueur à celui qui lui renvoie la balle à l’entraînement : « J’avais mis en contact des joueurs, avec Capriati notamment, et c’est vrai qu’ils ont eu des soucis pour se faire payer, voire ne jamais se faire payer. Pourtant, que tu sois Top 100 ou Top 5, tu devrais rémunérer ton sparring comme tu rémunères ton kiné ou ton entraîneur ».
Mais où déniche-t-on un sparring-partner ? Dans la famille de l’athlète lui-même. Les frères, très souvent. Sinon, pour les membres extérieurs de l’entourage, le recrutement se fait essentiellement par les agents ou les coachs. Pour les grosses pointures du circuit, chez les meilleurs juniors, mais surtout dans le fond du classement ATP, entre la 150 et la 250ème place mondiale. Mais si des filles comme Victoria Azarenka ou les sœurs Williams ont un partenaire individuel, le gros de la profession, lui, déniche des partenaires parmi les joueurs amateurs, et ne les emploie qu’à temps partiel. On appelle ça une « pige » : un petit coup de main ponctuel, avant ou pendant les tournois, rémunéré directement par les joueurs et joueuses. « Entre 500 et 800 euros, pour une semaine complète. Elles pouvaient m’utiliser autant de fois qu’elles voulaient », poursuit Hugo, cet enseignant au club de Levallois, arrivé dans la « profession » en 2003 suite à une pige avec Mary Pierce pour Roland-Garros.
Bouffe, service et clause « anti-sexe »
Dans l’interstice entre le père et l’entraineur, difficile parfois pour ces partenaires d’entrainement de trouver leur place. « Le sparring doit être en retrait. J’estime qu’il ne doit pas s’immiscer dans la relation entre l’entraineur et la joueuse, poursuit Lecoq. Si on fait des fautes à répétition, si on n’arrive pas à répondre aux demandes de l’entraîneur ou de la joueuse sur des exercices précis, on peut pourrir la qualité de l’entraînement de l’athlète. On a une forme de pression. C’est comme le métier d’entraîneur, du jour au lendemain on peut être évincé du staff ». Lift, slice, régularité. Comme la plupart de ses collègues, Hugo doit posséder une large palette technique pour donner confiance au joueur ou à la joueuse. Même au risque d’en altérer son propre tennis. « Quand je rentre sur le terrain pour être sparring-partner, je me prépare comme si j'étais en compétition, je m'échauffe, je suis concentré. À aucun moment, je ne joue pour moi. Je joue pour elles, poursuit-il. J’ai le souvenir qu’à un moment je commençais à avoir du mal à servir quand je jouais avec les filles et qu’il fallait faire des petites deuxièmes ».
Dans sa « carrière » de partenaire d’entrainement, Lecoq n’a connu que des joueuses. « Mes filles », comme il dit : « Les joueuses sont un peu plus secrètes sur ce qu’elles font, elles n’aiment pas se dévoiler. Les relations sont souvent plus tendues entre les filles et donc elles ne s’entraînent pas entre elles et font beaucoup plus appel à des sparrings que les garçons. » Quand ces derniers le font, c’est souvent pour des questions bien spécifiques. C’est ainsi que le Français Jonathan Eysseric, ancien numéro 1 junior, s’est retrouvé sparring-partner attitré de Roger Federer pendant la saison de terre-battue 2007. Sa particularité ? Posséder un puissant bras gauche. Federer lui demandait de jouer « à la Nadal ». Mais la plupart du temps, hormis de rares exceptions, les joueurs font appel aux potes du circuit. Ou aux potes du club. C’est comme ça que Erick Counil, gérant d’une boutique d’articles de tennis à Nantes, bon joueur classé aujourd’hui 0, s’est retrouvé à suivre le numéro 1 tricolore. Tout a commencé par une blague en fin d’année dernière. « Qu'est-ce que tu fais pendant le Masters ? », demande Jo-Wilfried Tsonga. « Rien de particulier », répond Erick. « Alors je t'emmène une semaine à Londres. » Une semaine qui s’est révélée être une vraie réussite : « Avant de parler business, on est d’abord super potes avec Jo. On se voit à l’entraînement puis on se voit un peu le soir, on bouffe ensemble, on partage plus, ça le libère, il a moins de pression. Ça lui fait du bien d’être entouré de copains dans ce monde un peu dur qu’est le circuit ». Un monde tellement dur que les rares ayant des contrats n’ont pas le droit à l’amour. Dans celui de Dieter Kindlmann, sparring-partner de Maria Sharapova, une clause stipule ainsi qu’il lui est interdit d’avoir…des relations sexuelles avec elle.
Par Victor Le Grand et Quentin Moynet