- Rick Macci, coach à succès, au sujet de Venus Williams, 11 ans : Je pense que tu pourrais bien avoir la prochaine Michael Jordan entre tes mains.
- Richard Williams : Oh non mon frère, j’ai les deux prochaines.
S’il a été intitulé “King Richard” en langue originale, le film consacré à la genèse des monuments Venus et Serena Williams aurait presque pu s’appeler “God Williams”. Parce que Richard, leur paternel, n’a pas seulement prédit l’avenir, il l’a écrit. Dans un plan de 78 pages, rédigé avant même la naissance de ses deux filles, il avait prévu que l’une deviendrait la meilleure joueuse du monde et l’autre la meilleure de tous les temps. Bien que seule Venus porte le prénom d’une divinité - celle de l’amour, la beauté et la séduction -, Serena - issu de “serenus”, mot latin pour “serein” - est parfois considéré comme un dérivé de Séléné, déesse de la Lune. Et ce mythe contemporain, à l’instar de ceux de l’Antiquité, n’a pu se faire sans affrontements au sommet de l’Olympe.
Mentalement, le tennis est l’un des sports les plus éprouvants qu’il soit. Au point que les joueurs ont parfois l’air de vrais chtarbés sur le terrain. “Le tennis est un sport dans lequel on se parle à soi-même, a observé Andre Agassi dans son autobiographie, Open. Aucun sportif ne parle tout seul autant que les joueurs de tennis. (...) Non seulement les joueurs de tennis parlent tout seul, mais ils se répondent. Dans la chaleur d'un match, ils ont l'air de fous dans un jardin public : ils déclament, jurent et mènent de graves discussions politiques avec leur alter ego. Pourquoi ? Parce que le tennis est un sport tellement solitaire. (...) De tous les sports que pratiquent les hommes et les femmes, le tennis est ce qui se rapproche le plus de la réclusion solitaire, ce qui entraîne inévitablement l'habitude de se parler à soi-même."
Et encore, “Dédé” n’a jamais eu à affronter l’épreuve de se sentir seul monde pour mettre ses tripes sur le court face à son frère. Pour faire “mal” à celui-ci, le rouer de coups de raquette presque semblables à des coups de poings, tenter de le mettre K.O. et de le rendre triste en le privant d’un des titres les plus prestigieux du tennis. Les sœurs Williams, elles, ont connu ça. “Je n'aime pas voir mes filles s'entre-déchirer, a confié Richard Williams en 2002. Je préfère encore aller à un enterrement.” Depuis le début de leurs carrières, Venus, de 15 mois l’aînée, et Serena se sont affrontées 31 fois sur le circuit principal, soit plus que contre n’importe quelle autre adversaire. La cadette a remporté 19 duels, dont sept des neuf livrés en finale de Grand Chelem. Leur première empoignade pour un sacre en Majeur a eu lieu à l’US Open, en 2001.
“Peut-être que j’aurais été plus heureuse si Serena m’avait battue” - Venus Williams
“Je déteste voir Serena perdre, même contre moi, avait alors confié Venus, 21 ans, tombeuse de sa frangine 6/2 6/4 pour soulever le quatrième de ses sept trophées du Grand Chelem en simple. Ça aurait été plus facile pour elle de me battre, et peut-être que j’aurais été - je ne sais pas - plus heureuse. C’est assez étrange. Mais quand vous êtes la grande sœur, vous cherchez à prendre soin de la plus jeune. (...) Pendant le match, quand Serena faisait des fautes, même si j’étais heureuse d’avoir des points gratuits, c’était un peu comme si j’étais assise en tribune en train de la regarder jouer contre quelqu’un d’autre et de lui dire : ‘Allez Serena ! Tu peux le faire !’ Et quand je pensais à ça, je me retrouvais à perdre des points. (...) Je n’ai pas vraiment la sensation d’avoir gagné.”
Mais c’est aussi grâce à ce genre de défaite, le fait de vouloir battre sa grande sœur, que Serena s’est construite, notamment durant ses jeunes années. “Quand nous étions enfants, tout tournait plutôt autour de Venus, a raconté Serena dans son livre On the Line. Et il fallait que ce soit ainsi, parce qu’elle était déjà une joueuse incroyable. Et, en fait, être la petite sœur, celle qui n’était pas encore aussi forte, m'a donné cette envie et cet esprit de combat qui est un des atouts de mon tennis.” Grâce à cette puissante volonté de vaincre se lisant dans un regard à faire passer Médusa pour une Gorgone de pacotille, elle s’est imposée en légende aux 23 titres du Grand Chelem en simple. Dans l’histoire, hommes et femmes confondus, seule Margaret Court Smith a fait mieux, mais 13 des 24 sacres en Majeur de l’Australienne ont eu lieu avant l’ère Open.
Menée cinq victoires à une par Venus après leur finale new-yorkaise, Serena a ensuite peu à peu pris le dessus. Au point d’empocher 18 de leurs 25 combats suivants, grâce à un plan davantage psychologique que tactico-technique. “Je sais que sa carrière (celle de Venus) aurait pu être différente (avec encore plus de titres) si elle avait eu ma santé (et moins de blessures), a-t-elle expliqué pour Vogue en 2018. Je sais à quel point elle travaille dur. Je déteste jouer contre elle, parce que je vois sur son visage qu’elle a l’air triste quand elle perd. Ça me brise le cœur. Donc, quand je l’affronte, je ne la regarde absolument plus. Sinon, si je vois son air triste, je commence à me sentir mal et je finis par perdre. Je pense que c’est ça le tournant de notre rivalité, quand j’ai arrêté de la regarder.”
“Quand j’affronte Venus, je ne la regarde absolument plus” - Serena Williams
En 2017, neuf ans après leur huitième finale de Grand Chelem l’une face à l’autre, disputée à Wimbledon, Venus et Serena se sont retrouvées pour la neuvième, et dernière en date, à l’Open d’Australie, à 36 et 35 ans. C’est ce jour-là que Serena, gagnante 6/4 6/4, a triomphé pour la 23e fois en Grand Chelem en passant devant les 22 unités de Steffi Graf. “C’est un grand moment, je suis tellement heureuse qu’elle ait pu atteindre ce 23e, même si je sais qu’elle aimerait en avoir encore un peu plus”, s’était exprimée la vaincue en conférence de presse. “Même si j’avais perdu, ça n’aurait pas été une défaite, parce que c’était contre Venus, avait quant à elle déclaré la reine. C’était une situation gagnant-gagnant.”
“Non, je ne le ressentais pas comme ça par le passé, pas du tout, avait-elle poursuivi. Aujourd’hui (le 28 janvier 2017), c’était différent de nos autres finales de Grand Chelem. Au début, j’étais beaucoup plus secouée émotionnellement. Maintenant, j’ai juste la sensation d’être satisfaite de là où je suis arrivée, même si je veux toujours gagner. Je me sens aussi un peu plus rassasiée.” Venus et Serena n’ont pas seulement été rivales, elles ont aussi été partenaires. Associées en double, elles ont soulevé 14 trophées du Grand Chelem et passé trois médailles d’or olympiques autour de leurs cous. “C’est impossible de nous battre quand nous sommes toutes les deux, vraiment, avait lâché Venus à Wimbledon en 2001. Peu importe à quel point l’une de nous joue mal, l’autre jouera très bien et ce sera vraiment difficile (pour les adversaires).”
Venus et Serena, qui se sont toujours décrites comme “meilleures amies”, ont su tisser un lien suffisamment fort pour que leur rivalité sportive ne puisse l’effilocher. “Parfois, au sein de familles, il arrive que des gens se déchirent quand l’un a plus de succès que l’autre, a analysé Venus pour O, The Oprah Magazine en 2003. Ce n’est pas du tout le cas dans notre famille, peu importe qui gagne ou qui perd, qui est sous le feu des projecteurs ou ne l’est pas.” Et leur destinée s’est écrite en accord avec leurs goûts. Si la déesse Serena a décroché plus de lunes que Venus, c’est peut-être parce qu’elle a toujours préféré l’or et sa sœur l’argent, comme l’a dépeint une scène du film retraçant leur enfance.
- Venus, voyant Serena lorgner sur son trophée doré : Tu le veux ? On peut échanger. Je préfère l’argent de toute façon.
- Serena, avec son trophée argenté devant elle : Cool. J’aime l’or.