Dans la tête de Nadal

12 juin 2012 à 17:48:01

Dans la tête de Nadal
Plus Rafael Nadal a de tics, plus il remporte de tournois. La preuve avec cette septième victoire à Roland-Garros, Il doit donc y avoir un lien de causalité entre un slip, une bouteille d’eau et des victoires en...

Plus Rafael Nadal a de tics, plus il remporte de tournois. La preuve avec cette septième victoire à Roland-Garros, Il doit donc y avoir un lien de causalité entre un slip, une bouteille d’eau et des victoires en Grand Chelem. Plongée dans la tête de l’Espagnol.

Dimanche 10 juin 2012. Finale de Roland Garros. Premier set, Rafa Nadal prend le service de Novak Djokovic. L’ocre est humide, il ne cesse de tomber un insupportable crachin sur le central. Le public est un peu distrait et les parapluies s’ouvrent. L’Espagnol mène 4-3, service à suivre. Rafa regagne sa chaise, s’assoit, pose sa serviette sur ses genoux, boit une première gorgée de la bouteille A et la repose délicatement au même emplacement sur le sol, juste devant lui. Puis il attrape la bouteille B et boit une seconde gorgée. La bouteille B retrouve ensuite sa place juste à côté de la bouteille A. Il faut bien faire attention. La bouteille doit être posée exactement au même emplacement. Rafa aime bien la terre battue, c’est plus facile pour retrouver la trace de ses bouteilles. Ensuite il s’essuie le bras gauche avec sa serviette, puis le visage, puis le bras droit. Ses jambes se remettent alors à trembler. Il bondit de sa chaise avant le signal de l’arbitre sans jamais marcher sur une ligne blanche et en les passant toujours du pied droit. A chaque changement de côté, Nadal répète la même cérémonie. L’Espagnol est-il devenu fou ?  

Les trucs de Rafa

Il y a aussi les 8 rebonds de sa balle avant de servir, les sauts de cabris au moment du toss, les chaussettes qu’il faut remettre en place au début du set, la jambe droite qui croise deux fois la jambe gauche avant de se mettre en place au retour et, bien sûr, le slip à replacer. Quand cette semaine un journaliste lui pose une question sur ses fidèles bouteilles, Rafa est gêné : « Non, c’est rien ça, c’est juste des trucs à moi ». Et c’est bien cela qui nous intéresse. Car le talent de Nadal n’est pas dans son coup droit croisé ni son jeu de jambes. Ce gamin de 26 ans n’a ni le génie de Djokovic, ni l’élégance de Federer, ni même le punch de Tsonga. Son meilleur coup à Rafa, c’est la tête. « Rafa est peut-être le joueur du top 3 le moins doué techniquement », enfonce Tomás Carbonell, ancien joueur espagnol et aujourd’hui commentateur célèbre en Espagne. « Pourtant il compense ce déficit par un grand mental ». Emilio Sanchez Vicario, qui l’a côtoyé en Coupe Davis, est lui aussi admiratif de ce qu’il a entre ses deux oreilles : « Quand il joue, Rafa se fixe un objectif mentalement et tout est organisé autour de ça. Pour cela, il contrôle parfaitement son langage corporel ». Ces petits rituels sont donc des actes rationnels qui ont une fonction précise. Ok, mais laquelle ?  

Tout est dans la tête, dans l’attitude, en vouloir toujours plus, savoir endurer plus que ton rival

La loi du plus fort

Le tennis n’est pas un jeu. Sur le court il faut éliminer pour survire et exister. Ruben Moreno est psychologue sportif : « Le tennis est un sport très difficile parce que les joueurs sont soumis à une très forte pression psychique. Un joueur de tennis passe sa vie seul, dans les hôtels, dans les avions et ses amis sont ses rivaux ». Pour ne pas sombrer il n’y a qu’un seul moyen. C’est son oncle Tony qui le raconte à John Carlin : « Tout est dans la tête, dans l’attitude, en vouloir toujours plus, savoir endurer plus que ton rival ». Tony Nadal est l’oncle le plus célèbre du monde mais pourrait bien être philosophe aussi. C’est lui qui a fait de Rafa une bête d’endurance et de compétition. En 2008, son genou le fait souffrir le martyr. Tony prend Rafa part les cornes et lui dit : « Ecoute, il y a deux chemins possibles : soit tu te dis que c’est bon, que tu en as eu assez et on se retire. Soit tu te prépares à souffrir et à continuer. Le choix c’est entre endurer ou abandonner ».  Quelques semaines plus tard, il remporte son premier Wimbledon au bout de la souffrance. Nadal gagne sur gazon devant le maître Federer. Pas mal pour un unijambiste.  

Concentration et self-control

Durer ou endurer, c’est la même chose. Pendant un match, le corps souffre mais c’est la tête qui est le principal danger. Et là c’est le psy qui parle : « Un joueur de tennis doit pouvoir maintenir un niveau de concentration élevé sur une durée très longue. Les changements de rythmes, les points qui se succèdent, ce qui se passe dans le court, autour du court sont des éléments qui peuvent mettre à mal la concentration ». Pour maintenir sa fraicheur mentale, Rafa a donc besoin de rituels : « Ce qu’il fait avec ses bouteilles par exemple, c’est une manière de maintenir sa concentration et son self-control durant les changements de côtés. Beaucoup de joueurs n’ont pas de telles manies et auront tendance à penser au jeu qu’ils viennent de perdre, au break qu’ils viennent de gagner, bref, à dévier leur attention. Le résultat c’est que les changements de côté ne les reposent pas, ils les déconcentrent ». Les bouteilles, les slips, les chaussettes, les lignes, c’est ça le secret de Nadal. Ne pas penser pour ne pas souffrir. Facile à dire.  

Un excellent retour (du refoulé)

« Rafa est un joueur qui a très peu de mémoire tennistique », explique l’homme de média Carbonnel. Il joue chaque point séparément. Quand il termine l’échange, il ne pense qu’au suivant indépendamment de ce qui s’est passé ». Cette forme d’auto-narration maintient sa fraîcheur mentale. Chaque point a une existence propre. Refouler pour ne pas souffrir. Emilio Sanchez Vicario, son ancien capitaine en Coupe Davis précise : « Je ne dirais pas qu’il oublie systématiquement mais plutôt qu’il ne se souvient que des points qu’il a gagné. D’ailleurs à la fin d’un match, il a une capacité d’analyse incroyable. C’est quelqu’un qui lit très bien les matchs et est capable de te rappeler chaque point ». Rafa gagne les points les uns après les autres, puis les jeux, puis les sets, puis les matchs, puis, les tournois, puis les grand chelems. C’est simple le tennis en fait.   Par Thibaud Leplat, à Madrid  

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