C’est l’un des plus grands moments de ma carrière, après tout ce qu’il s’est passé…" Les yeux encore rougis, humides, Andy Murray vient de remporter le tournoi d’Anvers 2019. Un "simple" ATP 250. Pourtant, malgré ses 3 sacres en Grand Chelem, son Masters, ses 14 Masters 1000 ou encore ses 2 médailles d’or olympiques, il est ému. Ému aux larmes. Il savoure l’une des plus beaux aboutissements de sa vie professionnelle. Après la galère, il touche terre. Enfin. Dix mois plus tôt, en Australie, la hanche aussi couinante qu’une vieille porte de grenier, on le croyait perdu pour le tennis. Lui-même pensait arrêter, et toutes les sommités du sport y allaient de leur hommage.
Puis, après des discussions avec Mike Bryan, il a retrouvé l’espoir. Opéré pour un problème similaire, le monument du double - associé à son jumeau, Bob - a conseillé une nouvelle intervention chirurgicale à Murray. La deuxième sur sa hanche droite. Un "resurfaçage", cette fois. Une pratique qui consiste à retravailler la forme de la tête fémorale pour la coiffer d’une prothèse métallique vissée dans l’os afin d’offrir au patient un articulation fluide. En gros, le 29 janvier 2019, la médecine est venue changer les gonds de la vieille porte. Lui qui n’arrivait "même plus à lasser ses chaussures sans ressentir la douleur", un peu moins de neuf mois plus tard, il accouchait de son 46e titre en simple.
"Ces dernières années ont été très difficiles, et le tennis est ma passion, expliquait-t-il en Belgique après son succès. C’est pour ça que je suis si ému. Quand j’ai recommencé à jouer en simple (à l’été 2019), j’ai senti que ça allait mieux. Que je pourrais redevenir compétitif. J’avais atteint les quarts de finale de Wimbledon (2017) quasiment sur une jambe. Donc, si je pouvais à nouveau me déplacer ; pourquoi pas ? Mais je pensais que ça prendrait plus de temps. Je voulais juste donner mon maximum et rivaliser avec de très bons joueurs. Je ne m’attendais pas à regagner un tournoi aussi tôt, en me battant aussi longtemps (2 h 27 en finale) face à des gars comme Stan (Wawrinka)."
"Je pensais ne plus jamais en être capable"
Une année après cette renaissance, le phœnix cherche encore à déployer ses ailes. Freiné par une blessure à l’aine contractée fin novembre en Coupe Davis, l’Écossais doit faire une croix sur le début de saison 2020. Pandémie et arrêt du circuit obligent, il ne retrouve les courts que fin août, pour le Masters 1000 de Cincinnati. Là, il élimine Frances Tiafoe puis Alexander Zverev, respectivement en 2 h 28 et 2 h 31.
"J’ai foi en mon instinct de compétiteur, confie-t-il à l’issue de son succès sur l’Allemand. C’est une de mes plus grandes forces. Je n’ai pas encore perdu ça. Quand je le perdrai, alors il sera probablement temps d’arrêter. Mais j’ai toujours l’envie de me battre et donner tout ce que j’ai pour tenter de gagner chaque match."
En huitième de finale, exténué, il s’incline sèchement contre un solide Milos Raonic. Moins d’une semaine plus tard, au premier tour de l’US Open, il réussit une performance impensable. De celle dont on ne le croyait plus capable tant son corps, passé par l’enfer, aurait dû se consumer sans lui laisser le moindre espoir de rédemption. Mené 2 manches à 0 par Yoshihito Nishioka, "Muzz", pour la 10e fois de sa carrière, réussit à renverser la situation. Victoire 4/6 4/6 7/6 7/6 6/4 en 4 h 39.
"Je viens de jouer plus de 4 h 30 alors que je pensais ne plus jamais en être capable, lâche-t-il après la rencontre. Étant donné les efforts fournis et le long chemin parcouru ; le combat pour arriver à cette victoire a été le plus dur de ma vie. Ce succès signifie beaucoup pour moi."
Une folle remontée qui laisse des traces. Deux jours plus tard, épuisé, il se fait marcher dessus. Complètement écrasé à l’échange, il encaisse un 6/2 6/3 6/4 contre Félix Auger-Aliassime. Trois semaines après, à Roland-Garros : nouvelle déculottée. Le Britannique est corrigé 6/1 6/3 6/2 par Stan Wawrinka dès son entrée en lice. Sa pire défaite en Grand Chelem, à égalité avec celle subie devant Rafael Nadal à Paris en 2014 - 6/3 6/2 6/1. Le 14 octobre, opposé à Fernando Verdasco à Cologne, il connaît un troisième revers consécutif. Dans la foulée, touché au psoas gauche, il annonce son forfait pour la deuxième édition du tournoi allemand se jouant dès la semaine suivante.
Si je suis toujours 100ème dans un an, possible que j'arrête
"Ça (la douleur au psoas) va et ça vient depuis l’US Open, détaille-t-il. J’ai essayé de la gérer à l’entraînement et en match, mais, malheureusement, après ma défaite ici (à Cologne), elle est revenue." Entre arrêt du circuit et pépins physiques, Murray n’affiche, pour le moment, que quatre tournois officiels disputés cette saison. Bilan : 3 victoires. Cette semaine du 19 octobre, l’ancien numéro 1 mondial pointe au 116e rang du classement ATP. Un an en arrière, après sa résurrection anversoise, il était 127e. "Si dans un an je suis encore 100e, est-ce que je continuerai à jouer ? Possible que non, répond-il pour le Süddeutsche Zeitung du 15 octobre. J’espère être bien mieux classé."
"Je veux gagner régulièrement des matchs et me tester face aux grands de notre sport, poursuit-il. Si je suis capable de faire ça, je jouerai aussi longtemps que je le peux. Mais si j’ai des difficultés, que je ne gagne rien, le seul fait d’aimer jouer au tennis plus que tout ne suffira pas. Si je ne n’étais plus convaincu de pouvoir gagner un tournoi comme celui de Cologne, ce serait une raison déterminante pour arrêter."
Après une saison tronquée, Andy Muray semble attendre fin 2021 pour faire un bilan plus profond. Et, comme il le répète régulièrement suite aux joutes éprouvantes, sa hanche va bien. Il ne souffre plus. Seul hic, ce sont d’autres blessures qui viennent régulièrement stopper ses progrès.
Pour atteindre ses objectifs - remonter au classement, gagner des titres, être capable de rivaliser à nouveau, sur un match, avec le top 5 -, le Britannique doit pouvoir enchaîner les résultats. À 33 ans, avec son style de jeu et un corps usé, ce n’est pas une mince affaire. A fortiori en Grand Chelem, en trois manches gagnantes.
"J’ai pensé à modifier mon style de jeu pour raccourcir les échanges et préserver mon corps, admet-il en conférence de presse à Roland-Garros. Mais c’est une question difficile. Il faut trouver le bon équilibre. À ce stade de ma carrière, je ne pense pas pouvoir changer complètement mon jeu. Mais je dois m’assurer d’être agressif depuis ma ligne de fond." S’il a déjà gagné un oscar pour son rôle de "The Revenant" à Anvers, Andy Murray doit maintenant trouver une solution pour faire, encore, évoluer son jeu et redevenir un acteur majeur du circuit.