L’édition 2001 des Internationaux de France de Roland-Garros a été marquée par le quart de finale entre le redoutable André Agassi et l’outsider Sébastien Grosjean. Avec comme agent perturbateur Bill Clinton, ancien président américain fraîchement retraité et qui a sacrément porté la poisse à son compatriote. Récit.
Paris, mercredi 6 juin 2001, court central de Roland-Garros, nouvellement renommé court Philippe-Chatrier, en hommage à l’ancien président de la fédération française de tennis, décédé un an auparavant. L’ambiance est au rendez-vous et le programme alléchant : un quart de finale du tableau masculin entre André Agassi, troisième joueur mondial, et le local Sébastien Grosjean, numéro dix. Ce dernier se souvient aujourd’hui du contexte : « André venait de remporter l’Open d’Australie en début d’année, où j’avais moi-même été performant (demi-finale perdue face à son compatriote Arnaud Clément, Ndlr). J’abordais ce premier quart à Roland en confiance, même si en face, André était l’homme à battre du tournoi. »
27 gardes du corps
L’affaire est d’ailleurs très bien engagée pour le Kid de Las Vegas, qui expédie le premier set en vingt petites minutes et un score sans appel de 6/1. Son adversaire, casquette à l’envers comme à son habitude, semble paralysé par l’enjeu, mais refuse de se laisser abattre. « En Grand Chelem, les matchs peuvent être à rallonge et les renversements de situation nombreux. Le déficit d’expérience m’était défavorable, je m’étais préparé à être probablement mené. » Les deux joueurs sur leurs chaises se préparant à aborder le deuxième set, c’est alors que débarque en tribune présidentielle, Bill Clinton. Une arrivée digne d’une rock star.
Polo couleur terre battue, teint halé et sourire bright, celui qui s’est fait remplacer quelques mois auparavant à la présidence des Etats-Unis par George W. Bush bénéficie d’une belle cote de popularité en France. Sa politique étrangère a plu et ses turpitudes suite à l’affaire Lewinsky ont plus fait sourire que choqué au pays du french kiss. Suivi par 27 gardes du corps, il reçoit une longue ovation du public. En tribune de presse, le consultant et ancien joueur Guy Forget s’en amuse : « Ça va peut-être perturber un peu André Agassi. » Il ne croit pas si bien dire : moins agressif, moins précis et visiblement agacé, l’Américain subit dès la reprise les coups droits d’un Grosjean retrouvé. Le Marseillais accélère le jeu et prend le compagnon de Steffi Graff, elle-aussi présente en tribune, à son propre jeu. Les fautes directes s’accumulent et le scénario s’inverse complètement, avec désormais un avantage au score, deux sets à un, pour Grosjean.
Clinton aux WC
« J’ai senti le public avec moi et retrouvé mes sensations, se rappelle ce dernier. André avait ce style de vouloir abréger les échanges, mais j’ai réussi à bien le faire bouger. » Quant à la présence de Clinton en tribune, le joueur désormais installé en Floride assure ne pas y avoir prêté attention. « Chirac avait déjà assisté à un de mes matchs, ce genre de péripétie ne m’atteint pas. » Il n’empêche, ce spectateur surprise crée l’événement. Un événement inratable pour le célèbre intervieweur polyglotte Nelson Montfort, toujours à l’affût micro en main. « Les jeux défilaient et les gardes du corps ne me laissaient pas l’approcher. Mais quand je l’ai vu s’éclipser pour aller aux toilettes, j’ai fait le pied de grue devant avec deux caméras projecteurs allumés, de telle sorte qu’en sortant, il ne pouvait pas me refuser une interview ! » Pris au dépourvu, l’ex-président répond quelques banalités, sourire crispé. « A peine c’était terminé, il s’est tourné vers son responsable sécurité et lui a répété plusieurs fois ?I never said yes !?. Il était énervé. Moi j’étais bien content de ce petit tour, on n’a pas tous les jours une telle personnalité en entretien ! »
Hasard ou réalité scientifique, Agassi profite de l’absence aux toilettes de son prestigieux supporter pour se réveiller. Il pose enfin son jeu, parvient à breaker dès le début du 4e set, obtient même trois balles pour mener 3 à 0 et… patatras. Bill Clinton revient en tribune assister à la déroute de son champion, incapable ensuite d’inscrire plus d’un jeu en sa présence. Score final : 1/6 6/1 6/1 6/3 pour Grosjean. « J’ai battu André à la régulière, j’étais tout simplement dans un bon jour », insiste aujourd’hui le Français. Propos corroborés par son adversaire en conférence de presse. « Grosjean a juste joué mieux que moi », reconnaissait-t-il, énervé par la tournure des évènements. Quant à la présence de Clinton en tribune, le natif de Sin City affirmait « ne pas l’avoir vu ». « Impossible, assure Nelson Montfort, il était au premier rang de la présidentielle. » Depuis ce jour, Bill Clinton n’a plus jamais assisté à un match d’André Agassi.
Par Régis Delanoë