Et l’Anglais inventa le lob… #2

22 mai 2012 à 16:32:47

Une année s’est écoulée depuis le sacre de Spencer Gore à Wimbledon. C’est l’heure de rechausser les espadrilles et la chemise blanche pour la seconde édition du tournoi local. Parmi la concurrence figure un certain...

Une année s’est écoulée depuis le sacre de Spencer Gore à Wimbledon. C’est l’heure de rechausser les espadrilles et la chemise blanche pour la seconde édition du tournoi local. Parmi la concurrence figure un certain Frank Hadow, britannique, en vacances dans le coin et qui décide de s’inscrire sur les conseils d’un autre participant. Juste pour voir ce qui s’y trame, transpirer et inventer au passage la première « chandelle » de l’histoire. Nous sommes en 1878, sur la Worple Road, et ceci est son histoire.

 

Chapitre deux

  Les années passent, se ressemblent et le tennis est toujours réservé à une classe huppée de la société britannique. « Des joueurs en pleine force de l’âge, avec de bons revenus personnels, un peu d’argent familial et qui n’avaient pas besoin de faire les trois-huit », ironise Gilles Destremau, historien français du tennis. Pourtant, l’organisation de la première édition de Wimbledon en 1877 fut un franc succès populaire. Grâce aux 200 personnes ayant assisté à la finale du tournoi – un shilling la place, le club de croquet de la ville a de quoi renflouer ses caisses. Fondé en 1869, cet établissement présentait quelques mois auparavant un bilan financier catastrophique. Henry Jones, son fondateur, se dit qu’en l’état actuel des choses, il pourrait ajouter au programme de ses activités ce jeu de tennis qui semble passionner la société londonienne. Cependant, les règles établies par le All England Croquet restent imparfaites. Les critiques s’attardent en effet sur l’hégémonie débridée du service et de son interprète. L’impopularité du jeu offensif de Gore incite Henry Jones à se plonger dans les statistiques. L’analyse exhaustive des coups joués révèle que sur 601 jeux, le serveur en a gagné 376, soit une proportion moyenne de 5 contre 3. Trois issues sont alors envisagées : n’autoriser qu’une seule balle de service, relever encore un peu plus le filet au centre – jusqu’alors bien incurvé - ou rapprocher le filet de la ligne de service. La troisième option sera l’heureuse élue. La ligne d’engagement est fixée à 22 pieds (6,70 m) du filet, dont la hauteur est en revanche abaissée à 0, 91m en son milieu et à 1,44 m (4 pieds et 9 pouces) aux poteaux. Le deuxième tournoi de Wimbledon peut enfin commencer.  

Le crâne dégarni, la moustache impeccable

Cette année encore, Wimbledon est uniquement réservé aux hommes. Une mise en garde inscrite en minuscule sur la porte d’entrée du club prévient tout de même : « Messieurs sont priés de ne pas jouer en manche courte lorsque les dames sont présentes ». Quelques 33 joueurs inscrits lorgnent sur la finale du tournoi qui les opposera au vainqueur de l’édition précédente. Parmi eux, Frank Hadow, un touriste en vacances dans le coin. Au club, personne n'a jamais vu le crâne dégarni et la moustache impeccable de ce planteur de Ceylan (nom du Sri-Lanka de l’époque, colonie anglaise, Ndlr) âgé de 23 ans. On sait peu de choses sur ses activités tennistiques ultérieures. Mais depuis quatre jours, Hadow n’a toujours pas perdu un set dans le tournoi. Et c’est bien le seul dans l’histoire éphémère de Wimbledon. Sur le court, Frank est accompagné par son frère ainé, A. A. Hadow, lui aussi reconnu comme bon joueur de cricket et de court paume. Le premier de la fratrie s’incline lâchement au deuxième tour de la compétition quand le cadet, lui, corrige à la surprise générale Erskine en finale des challengers et file tout droit vers la finale – l’authentique – qui l’opposera au tenant du titre, celui qu’on ne présente plus : Spencer Gore.  

Calme, malade, méticuleux et raisonné

Il est 16 heures tapantes. Cette année encore, la moiteur estivale de Londres est étouffante. « A cause du soleil, j’ai dû affronter Gore avec un mal de tête horrible et de la glace sur le front en entrant sur le court », avouera-t-il quelques années plus tard. Dans ces conditions, difficile d’imaginer Spencer Gore et sa volée dévastatrice laisser une chance à ce touriste doté d’un arsenal technique plus que corseté. Méticuleux et raisonné, Hadow ne panique pas pour autant. Il comprend vite l’inutilité de cogner fort au centre et sur les cotés, où son adversaire règne en maître depuis deux ans. « Avec un homme de grande taille, aux longues jambes et aux bras tentaculaires au filet, la balle me revenait aussi vite que je l’avais frappée ». Roublard, Hadow sort alors de sa botte secrète un coup venu d’ailleurs. Il envoie la balle suffisamment haute pour que Gore ne puisse l’atteindre, l’obligeant à courir comme un fou en fond de court et à abandonner, du même coup, sa place favorite au filet. « C’est sans doute par chance. Il lève la balle, la passe au dessus, l’autre ne peut pas la rattraper : lob ! Il l’a reproduit, tout simplement », théorise Gilles Destremau. Le geste est en effet répété sans modération. Il terrasse ainsi Spencer Gore en trois manches (7/5, 6/1, 9/7) pour inscrire son nom au palmarès du tournoi. Le public et la presse n’en reviennent pas. Lui non plus. Sans le savoir, Hadow vient d’ébranler ce sport qu’il ne connaît guère. Avec ce que la vox populi baptise volontiers dans une pointe de mépris : « chandelle ».  
Sport de poule-mouillée à balle molle
Il est vrai qu’à cette époque, le lob et la volée ne séduisent guère les foules anglaises. Des coups petits, presque bas. « L’idée lui est venue parce que le court était différent : le filet était plus haut, plongeant au centre », poursuit Destremau. Pour Christian Quidet, les mots sont plus simples : « Incompréhensible cette victoire d’Hadow, à moins d’admettre qu’il venait d’inventer le lob ». Interviewé après sa victoire, Frank déclare de bonne foi être étonné qu’aucun joueur n’ait eu l’idée avant. Plus classe encore, il ne rejouera plus jamais au tennis de sa vie, précisant que c’était un sport de « poule-mouillée à balle molle ». Il ne réapparaitra sur le gazon de Wimbledon qu’en 1926, invité par la reine Mary et les organisateurs pour le 50ème anniversaire du tournoi. Non professionnels, les athlètes de l’époque se mettaient au tennis comme certain « se foutent au surf de nos jours, note Gilles. Il y avait sans doute une forme de snobisme de la part de ces joueurs. Du genre : ‘Ce sport est trop facile pour moi, je vais faire autre chose et aller à Harvard’. Moi je trouve que c’est un très beau geste d’arriver très doué et de tout laisser tomber pour avoir une autre vie ». Champion déchu, Spencer Gore arrêtera lui aussi le tennis en 1878, qualifiant cet exercice d’ennuyeux. Quand un journaliste lui demandera quinze ans plus tard si il fut un grand pionnier tactique? Il répondra énervé : « Oh ça va, il ne faut pas exagérer ! »   Par Victor Le Grand  

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