Les cris au tennis permettent-ils de mieux jouer ?
C’est un fait, les halètements des joueuses du circuit WTA ne laissent personne indifférent. A l’orée du vingtième anniversaire du match qui a forcé le milieu du tennis à se pencher sur la question - la fameuse finale de Roland-Garros 1992 entre Steffi Graf et Monica Seles - il y a de quoi se demander si cet effet de mode a un réel fondement.
« Aujourd’hui, il faut reconnaître qu’il n’y a plus trop de gêne sur le sujet, c’est devenu assez courant.» Nathalie Tauziat met à l'aise. L'ancienne numéro 3 mondiale reconnaît même que se poser des questions sur le sujet n'a rien de déplacé : « Je ne sais pas si ça aide énormément, il faut reconnaître que lorsqu’elles crient, ça dégage quelque chose. Mais de là à dire que ça fait avancer la balle… » Elles sont pourtant nombreuses à le croire. Il faut dire qu’une étude menée par Dennis O’Connell, un professeur de physiothérapie à l’université d’Hardin-Simmons à Abilene (Texas), montre que la vitesse du service augmente de plus de 6,4 km/h lorsqu’une joueuse crie au moment de frapper. En complément, des psychologues canadiens ont démontré qu’un joueur de tennis mettrait plus de temps à réagir en présence d’un bruit et que les décisions à prendre lui semblaient également plus difficiles. Au diable le fair-play, tous les coups sont donc permis pour la victoire. « C'est une forme de théâtre mais c'est tout de même un peu plus compliqué, explique Erkki Bianco, phoniatre à Paris. C'est quelque chose que naturellement on laisse échapper mais qu'instinctivement on ne fait pas. C'est comme de roter ou péter. C'est naturel mais normalement on s’abstient. Là, elles se servent de ce cri presque comme un attribut de force, de virilité ». Tauziat en convient assez aisément, elle qui a vu la différence entre Monica Seles en match et Monica Seles à l’entraînement : « Un jour, je l’ai vu arriver sur le court d’à côté pour taper la balle. Je me suis dit que j’allais subir, que j’aurais dû prendre des boules quiès. Au bout de quelques minutes, je n’entendais rien. Alors je me suis arrêté, je l’ai observé, et elle jouait aussi fort qu’en match. Mais sans un bruit, étrangement…».
Vers une hémorragie des cordes vocales ?
Il y a pourtant des risques à s’adonner à ce petit jeu. « Ça peut être dangereux pour la personne qui crie car elle peut s'irriter les cordes vocales, prévient le spécialistes des troubles de la voix. Il y a une sorte de déshydratation due à l'exercice physique effectué en même temps. Et puis elles ne savent généralement pas crier et expirer de l'air en même temps, ce qui fait que leurs cordes sont très serrées. Théoriquement, on pourrait aller jusqu'à une hémorragie des cordes vocales si elles forcent trop ». Il y a également de quoi s’emmêler les pinceaux sur le court. « Maintenant, c’est tellement banalisé que pour surprendre il faudrait se mettre à crier subitement. Mais ce n’est pas évident. Même si ça ne joue pas très intelligemment dans le tennis féminin, désormais ça va très vite, on ne peut pas improviser », tranche Nathalie Tauziat. « Et puis il y a le mimétisme, poursuit celle qui travaille désormais pour la fédération canadienne. Les petites filles veulent tout faire comme leurs idoles. Une que j’entraînais est partie faire un stage de trois mois aux Etats-Unis. Elle est revenue, elle criait à toutes les balles ! ». Vénus Williams a d’ailleurs avoué s’être mis à crier parce que son idole Seles faisait de même. De quoi tordre le cou à toutes les blagues sexistes que suscitent ces rugissements : les tenniswomen sont juste comme les autres femmes, victimes de la mode. Par Romain Canuti et Arthur Jeanne