Cette édition 2016 du ATP World Tour Finals de Londres qui commence ce dimanche marque un anniversaire : les 40 ans d’une finale perdue par le Polonais Wojtek Fibak à cause de l’acteur américain Kirk Douglas. Tout un symbole pour un joueur qui n’a toujours eu qu’une obsession : faire partie du show-business. Portrait d’un esthète, grand amateur d’art et de parties fines avec Robert De Niro.
C’est l’histoire type du bon scénario hollywoodien. Un outsider proche de l’exploit qui a tout pour créer la surprise mais qui doit d’abord être poussé par un élément déclencheur, une/des péripéties avant de filer vers un dénouement. Heureux, la plupart du temps. Sauf que, contrairement aux attentes, un homme va changer la fin du script qui s’écrit en ce mois de novembre 1976. Son nom ? Kirk Douglas, acteur principal des Sentiers de la gloire, grand fan de tennis, qui s’encanaille de la finale du Masters, à Houston, opposant l’Espagnol Manuel Orantes au Polonais Wojtek Fibak ; l’outsider proche de l’exploit qui a tout pour créer la surprise puisqu’il mène 2 sets à 1 et 4 jeux à 1 dans la troisième manche. Changement de côté. Moment choisi par la télévision américaine pour interroger une personnalité présente dans le public. Le micro est donné à Douglas : « Fibak et Orantes sont deux gentlemen du sport, mais au point où en est, je pense que le vainqueur sera Fibak. » À première vue, rien de très choquant. À la seconde, un peu plus : l’interview est retransmise en direct dans la salle. L’épouse de Kirk décide d’en remettre une couche. Saisit le micro : « Attends ! Orantes n'est pas encore battu. Orantes est un grand lutteur. » Eclat de rire général. L’Espagnol sourit lui aussi et retourne sur le court. Deux heures après, il remporte finalement ce Masters. En conférence de presse, Fibak, déçu, assurera avoir été déconcentré par l’intervention de Kirk Douglas : « Cette interview, c’était certainement une bonne idée… pour le public. » Un film qui a donc pas mal marché.
Un pavillon de chasse à Paris
Une belle l’histoire mais un coup dur pour un homme qui, toute sa vie, a cherché le regard protecteur du show-business. Vedette du circuit professionnel des eigthies, vainqueur de l’Open d’Australie quelques mois avant sa désillusion texane, le Polonais a toujours cultivé un penchant pour le champagne et les chausseurs en crocodiles. Son projet ? Exister parmi les grands de ce monde d’une autre manière que le sport. En 1989, il pose ainsi toutes ses économies sur la table pour acquérir le journal polonais Gazeta Poznanska aux enchères. Quelques mois plus tard, c’est au tour du quotidien sportif de Katowice, en Silésie, de tomber dans son escarcelle. Quatre ans plus tard, « Citizen Fibak » règne sur une dizaine de titres et s’offre sa propre imprimerie. La première pierre de son empire est posée. Grâce à celle-ci, Fibak peut dès lors jouir des luxes de la vie de château. Il achète ainsi un pavillon de chasse du XVIIIème siècle à Paris, un château écossais dans le Connecticut, un appartement new-yorkais près de Central Park et un toit à Monaco, où il vit la majorité du temps et où il devient consul honoraire de Pologne. À Varsovie, faute d’avoir pu s’acheter le palace Bristol, l’homme d’affaires va faire de la capitale polonaise le QG de sa passion première. Le genre de passe-temps qui vous valide un ticket pour les soirées chics : l’art, grâce à l’ouverture d’une galerie. C’est son père Jan qui l’a initié gamin au coup de pinceau ; adulte, l’esthète hésite entre les carrés de service et les salles de vente où sa préférence va aux artistes polonais du XIXème siècle - Menkes, Zak, Makowski - et les tableaux de Picasso, Matisse ou Warhol. Il se vante même d’avoir transmis le virus de la peinture à John McEnroe.
« Je veux pouvoir filer au ski quand ça me chante »
Tous ses efforts vont vite être récompensés. En 1992, ce grand catholique devant l’éternel rencontre le pape Jean-Paul II. « Le plus beau jour de ma vie », dira-t-il. Dans la foulée, on le voit jouer au ping-pong avec l’ancien Président polonais Lech Walesa. On lui dessine même un destin politique. Au final, Fibak dirigera seulement la Fédération nationale de tennis, l’espace d’un mandat. « A quoi bon?, s’interrogera-t-il un jour. Ma vie me plaît. Et je veux pouvoir filer au ski ou à la plage quand ça me chante. » De préférence avec son grand ami Robert De Niro. Une autre légende du cinéma américain, comme Kirk Douglas, avec laquelle il écrira l’autre scénario tragique de sa vie. La scène se déroule le 10 février 2007. Retranché à l’arrière d’une Mercedes, Robert De Niro a beau agiter une grosse lampe-torche pour éblouir les photographes agglutinés autour de sa voiture, sa photo sortant du palais de justice de Paris fait déjà le tour du monde. Il est alors témoin dans une affaire d’un vaste réseau de prostitution et de proxénétisme international. Son nom a été cité par trois jeunes femmes où l’on croise, entre autres, de riches émirs arabes clients des marchands d’armes français, des playboys américains, un producteur de cinéma et un joueur de tennis : Wojtek Fibak. Accusé de tentative de viol et d’agression sexuelle lors de séances photos avec des tops model à Paris. Avant d’être finalement relaxé. Depuis, l’ancien touche-à-tout a abandonné la jetset pour rester un riche entrepreneur comme les autres, misant sur des investissements immobiliers, ses nouvelles entreprises dans l’agro-alimentaire et Fibak Investment Group, sa société de conseil qui représente les intérêts de Volvo en Pologne. Chaque année, il s’accord néanmoins un dernier petit plaisir : les loges VIP de Roland-Garros. Où Hugh Grant et Jean Dujardin ont remplacé Kirk Douglas et Alain Delon. On a l’époque et le cinéma que l’on mérite.