Après des décennies de succès, le tennis suédois se trouve actuellement confronté à une grave crise. Robin Söderling a bien caché un temps le désert derrière lui, mais son absence sur le circuit depuis plus d’un an révèle l’étendue des dégâts : aucun joueur actuel dans le top 400, une relégation inédite en Coupe Davis par BNP Paribas et une fédération à la ramasse. Enquête, alors que se tient en ce moment l’Open de Stockholm.
Le premier visage qui vient à l’esprit lorsqu’on évoque le tennis suédois est celui de Björn Borg. L’archétype du Scandinave, bel athlète, élégant avec ses longs cheveux blonds soigneusement retenus par un bandeau. Il est aussi celui avec qui tout a commencé. « L’extra-terrestre » comme il était appelé sur le circuit débarque sur la planète terre-battue et enchaîne les victoires dans les années 70. Le symbole d’une Suède qui triomphe entraîne derrière lui toute une génération de jeunes joueurs fascinés par ses exploits. « Grâce à Borg, beaucoup de gamins se sont mis au tennis au pays, moi le premier, expliquait récemment Stefan Edberg sur CNN. Des courts ont été construits à cette époque et l’intérêt pour ce sport était grandissant. » Mats Wilander ne dit pas autre chose. « Le tennis suédois s’est développé grâce à Björn Borg, il jouait un style novateur qu’on voulait imiter. »
Johansson, dernier vainqueur d’un Grand Chelem en 2002
Et c’est ce que les deux compères font, prenant remarquablement la suite du pionnier à partir des années 80. Edberg et Wilander trustent les premières places du classement ATP et gagnent tournois sur tournois. 42 dont 6 du Grand Chelem pour le premier cité, 33 dont 7 du Grand Chelem pour le second. A l’époque, la Suède est incontestablement la nation-forte du tennis. Quelques chiffres pour illustrer cette domination : en 1984, ils sont 6 compatriotes parmi les 50 meilleurs joueurs du monde (Wilander, Sundström, Järryd, Nyström, Edberg et Gunnarsson) ; et en 1987, ils débarquent à 18 pour disputer le tableau final masculin de Roland-Garros.
L’âge d’or se poursuit dans les années 90, avec trois nouvelles Coupes Davis par BNP Paribas conquises en 1994, 1997 et 1998, après celles raflées la décennie précédente. C’est l’époque des Magnus Norman, Jonas Björkman, Thomas Johansson, Thomas Enqvist. Une génération qui maintient l’illusion d’un tennis suédois incontournable. Sauf qu’au tournant de la décennie 2000, la source se tarit. « On pouvait déjà sentir le déclin arriver depuis quelques années, observe Henrik Stahl, journaliste spécialisé pour le quotidien Aftonbladet. Thomas Johansson a certes surpris son monde en gagnant l’Open d’Australie en 2002 mais ça s’est arrêté là. C’est d’ailleurs la dernière fois qu’un Suédois a remporté un Grand Chelem. »
Rosenholm, 1er Suédois, 438e mondial…
Robin Söderling a bien failli l’imiter aux Internationaux de France 2009 et 2010, mais il a échoué les deux fois en finale, la première face à Federer, la seconde face à Nadal. Depuis, le taciturne Söderling a contracté une forme rare de mononucléose. Un an et demi déjà qu’il a disparu du circuit, ce qui n’incite guère à l’optimisme. « Je le crois capable de tenter un come-back une fois rétabli, mais ce n’est pas dit pour autant qu’il y arrivera, avance Henrik Stahl. Un gars comme Del Potro a mis deux saisons pleines pour retrouver à peu près le niveau qui était le sien avant sa blessure. Or, Söderling a déjà 28 ans et n’a repris l’entraînement que récemment… »
Mais il y a pire encore pour la Suède que le cas Söderling. Car derrière lui, c’est le néant. L’actuel joueur le mieux classé à l’ATP est Patrick Rosenholm, 438e mondial ! Il n’y avait plus un seul compatriote de Björn Borg à Roland-Garros cette année et l’équipe de Coupe Davis par BNP Paribas vient logiquement de perdre 0-5 son tour de barrage qui l’opposait à la modeste Belgique. La Suède évoluera donc la saison prochaine en deuxième division et l’avenir s’annonce pour le moins morose. Le capitaine Thomas Enqvist tient néanmoins à relativiser la gravité de la situation, arguant que « dans tous les sports et dans tous les pays, il y a des hauts et des bas. Le tennis reste très populaire. Il existe plusieurs excellentes académies et la fédération accomplit un gros travail. »
« Le football a Zlatan, le tennis personne »
Il est bien le seul à faire preuve d’un tel optimisme. Le DTN Johan Sjörgren lui-même a reconnu que la fédération avait « oublié de tenir compte de l'évolution technique du sport et de former des coaches, qui sont d'ailleurs sous-payés. » Aveuglé par les résultats des dernières décennies, confortablement installé sur des acquis pourtant fragiles, le tennis suédois accuse désormais un retard flagrant par rapport à d’autres nations. « A mon époque, on voyait la fédération espagnole venir en Suède voir comment on s’entrainait, aujourd’hui c’est l’inverse », constate Mats Wilander.
« Tandis que le football a Zlatan Ibrahimovic, le tennis n’a personne actuellement pour inciter les gamins à devenir champions, se désole Henrik Stahl. Il y a eu Söderling pendant un temps, mais la fédé a été incapable de capitaliser sur sa personnalité. » Une personnalité, il faut le dire, bien plus terne que celle d’un Borg ou d’un Wilander, ce qui n’a pas aidé… D’ici à ce que les instances du tennis local prennent vraiment le problème à bras le corps, il va donc certainement falloir attendre un certain moment avant de retrouver un Suédois triomphant. Henrik Stahl mise sur « le potentiel énorme des frères Elias et Mikael Ymer ». Les deux frangins sont âgés respectivement de… 14 et 16 ans.
Par Régis Delanoë