S'il y a bien un record qui n'est pas prêt de tomber à Wimbledon, c'est celui de la plus jeune championne du tournoi. En 1887, à 15 ans et 285 jours, Charlotte « Lottie » Dod remportait son premier Wimbledon. À cette époque, elle ne se doutait sans doute pas qu'elle deviendrait une des plus grandes figures du sport, réussissant à atteindre le haut niveau dans pas moins de cinq disciplines.
Si le Guinness Book of Records recense chaque année des records tous plus insensés les uns que les autres, il lui arrive parfois de décerner des médailles de valeur. Parmi celles-ci, il en est une qui n'a été décernée que deux fois. Celle de l'athlète la plus versatile de tous les temps. La première fut décernée à Charlotte « Lottie » Dod, une femme vraiment pas comme les autres. On peut aujourd'hui louer les exploits de grandes joueuses comme les sœurs Williams, Maria Sharapova, Kim Clijsters, Justine Hénin, Anna Kournikova ou encore Amélie Mauresmo, mais quelle joueuse peut se vanter d'avoir brillé dans d'autres sports que le tennis ? Aucune. Lottie oui. Et plutôt cinq fois qu’une. Marquer l'histoire du tennis féminin ne lui suffisant pas, la native de Bebington a aussi laissé son empreinte dans celle du tir à l'arc, des sports d'hiver, du hockey sur gazon et du golf. Surnommée Little Wonder, elle était en fait une des merveilles de son temps. La deuxième ? Babe Zaharias, américaine, championne de tennis, athlétisme, base-ball et golf, elle s’est aussi essayé à la gymnastique, au ski et au football américain.
Un uniforme d’écolière
Selon un célèbre adage, les chiens ne font pas des chats. Née près de Liverpool en 1871 dans une famille de riches marchands de coton, Lottie a grandi entourée de férus de sport. Puisque ni elle ni ses trois frères et sœurs (Ann, William et Anthony) n'ont eu à travailler, tous ont pu s'adonner à leurs sports favoris : le golf, le tir à l'arc, le billard, le bowling et le croquet. Mais c'est pour le tennis que Lottie en pince. En 1887, alors qu'elle n'a que quinze ans, Lottie participe pour la première fois à Wimbledon, encouragée par ses innombrables titres remportés en quelques mois. En finale, elle écrase la tenante du titre, Blanche Bingley, 6-0 ; 6-2. Le deuxième set ne dure que dix minutes. Sur les courts, Lottie est repérable au premier coup d'œil. Son jeune âge lui donne en effet le droit de jouer avec une tenue bien particulière. Exit les robes longues obligatoires pour les femmes, Little Wonder joue dans ce qui ressemble bien à un uniforme d'écolière. Simple question d'esthétisme ou avantage considérable ? Elizabeth Wilson, historienne du tennis, pensait connaître la réponse dans The Canberra Times : « Dod a toujours défendu le droit des femmes à jouer dans une tenue qui ne contraignait pas leur liberté de mouvement. »
Relativement grande pour l'époque (1,69 mètres), Charlotte est surtout reconnaissable par son jeu puissant. Dotée d'un incroyable coup droit, elle est surtout la première joueuse du circuit à monter à la volée et à servir à la cuillère. Féministe avant l'heure, elle en veut aux autres joueuses, qu'elle accuse d'être fainéantes : « Les femmes ne font pas assez d'efforts. Elles devraient se donner à fond. Elles verraient alors que certaines balles sont faciles à remettre. Au lieu de faire ça, elles font deux pas et abandonnent ». Plus jeune joueuse à avoir remporté Wimbledon – Martina Hingis était un peu plus jeune lorsqu'elle a remporté le double avec Helena Sukova en 1996 – Lottie conserve son titre en 1888 puis l'obtient à nouveau en 1891, 1892 et 1893. Quid de 1889 et 1890 ? La première année, Lottie était sur le yacht familial pendant le tournoi. La seconde, elle n'avait simplement pas envie d'y aller. Finalement, Charlotte se retire du monde du tennis à 21 ans, expliquant que la quête éternelle des titres ne l'intéressait pas. Lottie veut du challenge, du vrai, et elle entend bien en trouver ailleurs.
Joueuse de piano et de…banjo
Excellente joueuse de golf, elle remporte en 1904 les British Ladies’ Amateur Golf Championships, devenant ainsi la première femme à gagner un tournoi majeur dans deux sports différents. Insatiable, Lottie excelle également au hockey sur gazon. En plus d'être capitaine de l'équipe du comté de Cheshire – d'où vient aussi le fameux chat de Lewis Carroll – elle joue pour l'équipe d'Angleterre en 1899 et 1900. En 1906, 1907 et 1908, Charlotte se passionne enfin pour le tir à l'arc. La dextérité étant une de ses nombreuses qualités, elle obtient, en 1908, une médaille d'argent aux Jeux Olympiques de Londres. Sachant que bien avant ce succès historique, elle était devenue la première femme à descendre la fameuse piste de skeleton de Cresta Run, en Suisse. En 1896, elle avait aussi fait la Une après avoir gravi deux sommets de plus de 4000 mètres et après avoir réussi à maîtriser les figures de patins à glace imposées aux femmes. Et aux hommes ! Comme si tout ça ne suffisait pas, Lottie était également une excellente musicienne – elle jouait du piano et du banjo – et une infirmière dévouée. Pendant la première guerre mondiale, elle obtient la médaille d'or de la Croix Rouge après avoir servi plus de 1000 heures pour son pays. Au final, personne ne résume mieux sa vie que l'écrivain anglais Rudyard Kipling quand il écrit : « I suppose what is good enough for God is good enough for Dod. »
Par Gabriel Cnudde
Pour plus d'informations, lire Lottie Dod – Champion of Champions – Story of an Athlete de Jeffrey Pearson (1988)