Au palmarès du Bausch & Lomb Championships, plus connu sous le nom d’Amelia Island, disparu de la carte du circuit pro en 2008, figurent quelques ex-stars telles que Navratilova, Sabatini, Graf, Sanchez, Seles, Mauresmo ou bien encore Williams. Mais c’est en 2002 que ce tournoi entre définitivement dans l’histoire pour une affaire de mensurations. Et ce grâce à deux hommes : Bert Evatt et Ted Watts.
« Je n’avais jamais entendu parler d’une histoire comme ça… » En ce lundi 8 avril 2002, alors qu’elle circule dans les travées du tournoi d’Amelia Island en Floride, Mary Pierce tombe littéralement des nues. La Française, 250ème mondiale et présente grâce à une wild card délivrée par les organisateurs, vient juste d’apprendre une nouvelle qui restera sans doute comme l’un des plus grands ratés de l’histoire du tennis…
29 doubles fautes
Quelques heures plus tôt. En pénétrant sur la terre battue verte du Stadium Court où le sort les a réunies pour le compte du premier tour, Anne Kremer et Jennifer Hopkins ont un drôle de sentiment. Une impression bizarre, indéfinissable sur le moment, qui se renforce durant les cinq minutes d’échauffement. « Je me disais : "Quelle journée de merde ! Je ne passe pas une première" », se souvient dix ans plus tard la Luxembourgeoise Kremer, aujourd’hui 522ème mondiale, mais membre du gratin à l’époque (18e). « Ce qui est marrant, poursuit-elle, c’est qu’Hopkins, qui était quand même une bonne serveuse, balançait toutes ses balles dans le filet ou un bon mètre derrière le carré de service… » Sur le coup, les demoiselles se disent alors qu’il s’agit tout simplement d’un jour sans…
La rencontre débute et les deux protagonistes n’arrivent pas à régler la mire. Au point que le duel se transforme en un véritable festival de doubles fautes. Au total, en trois sets et deux heures de temps, le spectateur avisé en recense 29 (16 pour Kremer, 13 pour Hopkins, Ndlr) ! Après une profonde remise en question et aucune réponse à l’horizon, les deux joueuses demandent à Ted Watts, l’arbitre de chaise, de se pencher sur les dimensions du court. Très décontracté, celui-ci leur répond : « Tout est ok, jouez ». Le match s’achève sur la victoire de Kremer (5-7, 6-4, 6-2). Hopkins n’en démord pas et demande, une nouvelle fois, à ce que l’on prenne les mensurations de ce satané court. Cette fois, un mètre ruban à la main, Ted Watts s’exécute. Et là, tout s’accélère : les carrés de service ne font pas 6,40 m comme le prévoit le règlement mais 5,49 m. Soit 91 cm de moins! Illico presto, l’Américaine demande à ce que la rencontre soit rejouée. En vain.
« J’ai foiré ! Et dire que ça fait 22 ans que je fais ça… »
Plus tard, la WTA justifiera ce refus : « En vertu du règlement, la décision d'un arbitre sur des questions telles que les mesures est définitive. » En coulisses, un homme est mal. Très mal même. Son nom : Bert Evatt. Son job : responsable de la maintenance des courts à Amelia Island Plantation. L’intéressé reconnaît d’emblée sa gaffe : « J’ai foiré ! Et dire que ça fait 22 ans que je fais ça… » Son erreur : avoir inversé les différentes distances séparant la ligne de fond de court du filet. « Au lieu de faire 18 pieds (5,49 m) puis 21 pieds (6,40), j’ai fait 21 puis 18. » Pendant ce temps, John Arrix, le directeur du tournoi, préfère voir le bon côté des choses : « Malheureusement, c’est arrivé mais c’est bien que l’on s’en soit aperçu en tout début de tournoi. » Tout en oubliant de préciser que des matches de qualifications s’y étaient disputés.
Jennifer Hopkins a du mal à avaler la pilule et demande à repartir d’Amelia Island avec, non pas 1700 dollars, somme allouée aux victimes du 1er tour, mais avec les 3300 dollars réservés à celles qui le franchissent. Si l’histoire ne dit pas si sa demande a été acceptée, il s’avère toutefois qu’Anne Kremer est repartie quant à elle avec la coquette somme de 24 500 dollars à l’issue d’un parcours où elle se sera débarrassée tour à tour de Sandrine Testud puis d’Amélie Mauresmo avant de chuter, en demi-finale, sur Venus Williams. Une Venus Williams qui, deux ans plus tard à Wimbledon, aura la peau de Ted Watts. Coupable d’avoir oublié un point en faveur de l’Américaine dans le tie-break du deuxième set, il avait facilité la tâche de Karolina Sprem. Et même si « cette erreur n’avait pas eu de conséquence sur le match », dixit Venus Williams, elle en a eu sur la carrière de Watts qui fut purement et simplement rétrogradé, passant de badge d’argent à bronze et, surtout, se voyant interdire d’arbitrer une autre rencontre à Wimbledon cette année-là. Mais ça, c’est encore une autre histoire...
Par Charles Michel