« Ce tournoi de Roland-Garros est un gag ! »

25 mai 2016 à 13:06:34

À l’heure où les « invités surprises » en deuxième semaine sont de plus en plus rares, retour sur l'improbable demi-finale de Johan Kriek. C'était il y a pile 30 ans. En 1986, cet allergique à la terre était juste venu à Paris pour accompagner

À l’heure où les « invités surprises » en deuxième semaine sont de plus en plus rares, retour sur l'improbable demi-finale de Johan Kriek. C'était il y a pile 30 ans. En 1986, cet allergique à la terre était juste venu à Paris pour accompagner sa femme, qui voulait voir Paris !

 

Roland-Garros 1986 ? À classer parmi les millésimes baroques. Car si en 1984 et 1985, les quatre premières têtes de série sont en demies, cette année-là, tout est parti en vrille ! Ça a commencé avec Mats Wilander, le tenant du titre, sorti en première semaine par Andrei Chesnokov, un jeune Soviétique dont les conférences de presse étaient surveillées par le KGB. En milieu de tournoi, la star Yannick Noah déclare forfait, le pied rôti après un soin raté au laser. Et ça s’est fini par une finale avec un quasi-inconnu Mikael Pernfors, sa coupe en brosse et sa tenue Humma, pour finalement se faire corriger en trois sets par le numéro 1 mondial, Ivan Lendl. Rare instant logique d’une quinzaine également déréglée par la présence dans le dernier carré de l'Américain d'origine sud-africaine, Johan Kriek, pourtant membre de l’association des intolérants à la terre battue avec son service-volée… Dans la caste, chacun a ses raisons. Kriek, lui, fait des complexes, « en grande partie parce que tout le monde me disait que j'étais presque incapable de jouer là-dessus. Il faut dire que je n'ai pas joué sur cette surface avant mes 19 ans ! ». Comme Scott Davis, Tim Mayotte, David Pate ou Pat Cash, Johan Kriek est venu voir une fois à quoi ressemblait la Porte d'Auteuil. En 1979 précisément, le temps d'une défaite d'entrée. Puis devant un ou deux journalistes, ou peut-être même zéro, le vainqueur (opportuniste) de deux Open d'Australie désertés par les stars de 1981 et 1982  a dû jurer qu'on ne l'y reprendrait plus.

 

L’American Express de sa femme

 

Et puis au milieu des années 80 donc, Johan Kriek a pris deux résolutions déterminantes : se laisser pousser la moustache, façon Joe Penny dans Riptide, et revenir à Paris, façon touriste, lui qui n’a jamais remporté le moindre match sur la terre battue européenne : « En venant à Roland-Garros, je ne pensais même pas gagner un seul match. J'avais simplement en tête de faire de mon mieux. » Totalement cool, l’Américain, 28 ans en 1986, se permet la boutade de l'année en posant ses valises : « Je suis venu jouer ici car j’accompagne ma femme qui voulait faire du shopping à Paris ! ». La formule fait le tour de la presse, mais personne ne l'aurait retenue si Kriek n’avait pas passé cinq tours. Le premier est facile, conclu en trois sets face au Brésilien Carlos Kirmayr. Le deuxième un peu moins, puisqu’il concède un set au Tchèque Milan Srejber. Le troisième est lui marqué par un début de bagarre avec Luiz Mattar (ils sont à deux doigts de se taper avec leur raquette). En huitièmes, Kriek gagne par forfait sur Yannick Noah en huitièmes (il n'aurait sans doute pas gagné un seul set) avant de sortir en quart-de-finale, à la surprise générale, le vieux Guillermo Vilas en quart-de-finale… C’est simple, Johan Kriek fait presque plus parler de lui durant la quinzaine des que durant toute sa carrière. Merci Madame Kriek ? « Quand je vois la facture de l’American Express de ma femme, je me dis que j’ai plutôt intérêt à gagner des matchs ! », s'amuse le joueur au micro de TF1. Chaque jour, il s'émerveille, puis lâche : « Ce tournoi est un gag ».

 

« Kriek en huitièmes, quoi ! »

 

Problème : pour mettre Vilas à terre, Kriek a tellement forcé ses volées et ses services qu'il s'en est cassé le poignet. Logiquement, il passe totalement au travers de sa demi-finale (6-2, 6-1, 6-0) face à Ivan Lendl, resté en pantalon de jogging face au froid et à l’opposition inexistante. A tel point que le public le siffle et que le président de la Fédération Internationale de tennis, Philippe Chatrier, le descend dans la presse  « Je ne pouvais plus jouer, j'aurais dû abandonner », lâche le joueur après le match, pour finalement  revenir un an plus tard et être battu d'entrée. Si le public ne l’a ensuite plus jamais revu, Yannick Noah pense encore à lui. « J'avais un tableau de rêve !, a encore dit récemment le Français. Johan Kriek en huitièmes de finale, quoi ! Et Lendl en demies... Lendl à Roland ! Donnez-moi Lendl à Roland ! Quand je vois la demi-finale à la télévision, je vois Lendl jouer en survêt'. Il n'a pas enlevé son survêt' tellement il était facile. Ça m'a rendu fou ! » Le gag n'avait pas fait rire tout le monde...

 

Par Julien Pichené

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