Cette semaine, cap sur la côte d’Azur avec le tournoi ATP 250 de Nice. Un bout du littoral français qui, au XIXème siècle et quelques années après l’invention du tennis, devient le centre névralgique de ce nouveau sport. Retour sur les lieux qui ont connu les premiers coups de raquette de Suzanne Lenglen, la naissance de la terre battue et quelques coups de soleil de vacanciers anglais.
Elle trône fièrement dans le musée de Roland-Garros, et c’est l’une de ses pièces les plus anciennes : un exemplaire du kit portatif considéré par les historiens comme le point de départ du tennis moderne. Le 23 février 1874, le major Wingfield, un officier de l’armée britannique, dépose le brevet d’un nouveau jeu qu’il souhaite commercialiser sous le nom de sphairistike, un terme grec signifiant « art de la balle ». Il a tout prévu. Dans l’une de ses petites valises est rassemblé tout le matériel adéquat : quatre raquettes, des balles en caoutchouc qui n’abîment pas le gazon, un filet avec ses piquets, des bandes pour tracer le terrain et un livret expliquant toutes les règles. Comme le football ou la boxe, le tennis est donc un sport venu d’Angleterre qui s’est ensuite répandu dans le monde entier à partir de la deuxième moitié du XXème siècle. En commençant par la France. « Le tennis a été introduit par des joueurs anglais issus de familles aristocratiques et bourgeoises qui venaient en villégiature sur les côtes françaises », note Anne-Marie Waser, dans son ouvrage La Sociologie du tennis : genèse d’une crise. Pour le chercheur Jean-Michel Peter, cela ne fait aucun doute : « Le tennis est d’abord un sport de plage, avant de conquérir l’ensemble de l’espace balnéaire… En quelques années, le kit fait partie de l’attirail du parfait touriste. » C’est d’abord sur le sable des littoraux normands et bretons qu’est déployée la valise du major Wingfield, dès 1875, puis très vite sur la Côte d’Azur, à mesure que les touristes britanniques découvrent le doux climat méditerranéen. La « French Riviera » ne va alors pas tarder à devenir le cœur du tennis mondial.
Invention de la terre battue
En très peu de temps, le tennis sort du sable et on ne compte plus le nombre de propriétés privées pourvues de courts. L’hôtel Beau Site, l’un des établissements cannois les plus prisés des Anglais, n’est pas en reste : dans le cadre de l’agrandissement de ses jardins en 1881, sept courts sont dessinés par les champions britanniques William et Ernest Renshaw. Quand ces frères jumeaux ne sont pas en train de dominer la discipline (William a remporté sept fois le tournoi de Wimbledon et Ernest une fois en simple, mais cinq fois en double), ils prennent leur quartier au Beau Site pour donner quelques leçons, organiser des tournois et inventer la terre battue. Comment ? En s’apercevant que le gazon résiste mal à la température locale. Avec la chaleur, l’herbe jaunit ; ils ont donc l’idée de recouvrir ces terrains d’une fine pellicule de poudre ocre, déchet du broyage des pots en terre cuite défectueux fabriqués dans la commune voisine de Vallauris. Une nouvelle surface est née. Un succès d’ampleur également. Au début du XXème siècle, la seule ville de Cannes compte plus d’une centaine de terrains… en terre battue ! Evidement fréquentés par la haute société qui voit dans la raquette une quête de reconnaissance sociale. Comme le relève la sociologue Monique de Saint-Martin dans La noblesse et les sports de nobles, le tennis, au même titre de l’équitation, l’escrime ou le polo, fait partie des « activités gratuites et désintéressés, où la manière d’être, de paraître et faire compte souvent plus que la performance elle-même ».
Vicomte, « royales parties » et banque française
Rien d’étonnant à ce que les courts de l’hôtel Beau Site, dans son paysage verdoyant et ombragé, attirent le gotha mondain. Suzanne Lenglen y organise fréquemment ce qu’elle appelle des « royal parties » entre différentes couronnes venues de toute l’Europe. Quelques années plus tôt, la famille Lenglen, plutôt argentée, passe déjà ses vacances à Nice. C’est même là, dans le quartier des Musiciens, que Suzanne frappe ses premiers coups de raquette. L’histoire raconte ainsi que c’est en observant les Anglais - venus disputer des tournois de printemps - que son père a l’idée folle d’en faire une championne. Bien vu : à 15 ans, la « Divine » quitte sa province et remporte les championnats du monde sur terre battue à Saint-Cloud. Nous sommes en 1914, et le tennis est lui aussi monté en région parisienne depuis déjà quelques années. En 1898, le vicomte François Louis Léon de Janzé fait construire un club-house et deux terrains sur l’île de Puteaux. L’inauguration de ce cercle sportif est présidée par le Grand-Duc Vladimir de Russie. Un an plus tard, le Racing Club de France édifie des courts à Boulogne ; en 1901, le Stade Français en fait autant dans le parc de Saint-Cloud. Avant qu’un autre établissement ne trace le chemin que seront les futurs Internationaux de France. Son nom ? Le Club Athlétique de la Société Générale, fondé par la banque éponyme. En 1908, ce club se voit confier par la ville de Paris un espace de trois hectares au cœur des serres d’Auteuil. Il s’agit du futur stade de Roland-Garros. Qui n’avait pas encore de musée…