C’est lors de l’édition 2006 du tournoi de Miami qu’a été introduit pour la première fois sur le circuit le Hawk-Eye. Retour sur la manière dont cette technologie du vingt-et-unième siècle s’est imposée comme un indispensable outil… malgré de persistantes résistances.
Mercredi 22 mars 2006, premier tour du tournoi de Miami dans le tableau féminin, une rencontre américano-américaine va entrer dans l’histoire de la petite balle jaune. Elle voit s’opposer deux espoirs du tennis yankee : Ashley Harkleroad et Jamea Jackson. Cette dernière, qui bénéficie d’une wild-card, arrache le premier set 7-5. Elle sert pour entamer le deuxième set quand… une de ses balles est annoncée faute par un juge de ligne. D’ordinaire dans pareil cas, on est contraint d’obéir à la décision, même quand on a un doute. Mais ce n’est plus le cas : quelques semaines auparavant, les responsables du tournoi ont obtenu le feu vert de l’ATP et de la WTA pour expérimenter une technologie naissante nommée Hawk-Eye. Alors Jackson, prise d’un doute concernant la décision du juge de ligne, se tourne vers l’arbitre central et demande un « challenge ». Une première historique ! Le court ayant été équipé de tout l’attirail de caméras nécessaire au bon fonctionnement de cet outil, il est désormais possible de vérifier si la balle est « in » ou « out ». Quelques secondes suffisent pour que sa trajectoire soit reproduite virtuellement. Suspense… Sur l’écran, on voit que la balle atterrit pour une poignée de millimètres hors des limites du court, c’est « out » ! La décision du juge de ligne est validée et le jeu reprend comme si de rien n’était. Mais à l’issue de ce match très accroché et finalement remporté par Jamea Jackson (7/5 6/7 7/5), celle-ci est évidemment interrogée sur cette première. « J’ai adoré ça, réagit-elle en sortie de court. Ça enlève beaucoup de pression. Vous ne vous mettez pas en colère, vous avez juste à jouer sans vous préoccuper des décisions des juges de ligne. Je voulais être la première à utiliser ce système. » C’est chose faite.
Les télés d’abord, les tournois ensuite
Le système du Hawk-Eye a été mis au point cinq ans plus tôt par un mathématicien nommé Paul Hawkins. Son idée : inventer un moyen de reproduire la trajectoire d’un objet grâce à la triangulation d’images fournies par des caméras. Il pense dès le départ que le monde du sport y trouvera un intérêt mais c’est d’abord le cricket qu’il vise. Bien vite, une autre discipline vient aux renseignements : le tennis. Les instances internationales, plutôt conservatrices, attendent de voir… Les télés, en revanche, imaginent tout de suite que ce nouveau gadget peut plaire à leurs audiences en ce début de nouveau millénaire. Les Britanniques de Channel 4 sont les premiers à utiliser le système pendant leurs retransmissions, dès l’année 2003. La fiabilité est très satisfaisante, les téléspectateurs sont vite conquis. Le succès est tel que plusieurs tournois commencent à vouloir eux aussi l’utiliser, non plus seulement pour juger d’une décision à titre indicatif pour les téléspectateurs mais bien en cours de match, pour donner aux joueurs plus de responsabilités dans les décisions arbitrales. ATP comme WTA sont consultés, ils mettront du temps à accorder leur feu vert. Deux ans, en fait. Quand en décembre 2005, au Royal Albert Hall de Londres, John McEnroe sert de cobaye en match d’exhibition à l’occasion du senior tour. Quelques semaines plus tard, la technologie est autorisée à l’occasion de la Hopman Cup à Perth. Et c’est finalement au tournoi de Miami qu’est confié l’honneur d’introduire très officiellement la chose.
Safin, chef de file des contres
Mais à l’époque, cet « œil de faucon » ne suscite pas l’enthousiasme général. Marat Safin est le chef de file des « anti », ses propos sont très virulents. « Je suis totalement contre, dit-il, ça va détruire l’esprit du jeu, on va perdre en fluidité. Qui est le génie qui est arrivé avec une idée aussi stupide ? » Amélie Mauresmo critique également sa lenteur, tandis que Roger Federer trouve qu’il s’agit d’un « total gaspillage d’argent », son installation coûtant 100 000 dollars par court. Les premiers mois seront également marqués par des balbutiements concernant la manière d’utiliser le Hawk-Eye et le nombre de challenges autorisés par joueur. Chaque tournoi fait au départ un peu comme il l’entend, jusqu’à ce que les instances internationales obtiennent un accord pour une uniformisation à trois challenges autorisés (plus un en cas de tie-break) par set et par joueur. Aujourd’hui, le Hawk-Eye est généralisé sur la grande majorité des tournois, hors ceux sur terre-battue où la balle laisse une trace sur le sol, rendant cette technologie inutile. Elle fait également désormais la quasi-unanimité, même si certains joueurs sont moins fans que d’autres. Parmi les plus sceptiques, il y a encore Roger Federer qui, depuis dix ans, a plusieurs fois mis en doute sa fiabilité. Pas question de plaisanter avec l’exactitude et la fiabilité de la part d’un Suisse, pays de l’horlogerie !