Cette semaine, l’événement dans la planète tennis, c’est le tournoi BNP Paribas Open d’Indian Wells. À l’origine, l’épreuve a été fondée en 1976 par l’ancien joueur Charlie Pasarell, qui en fut le propriétaire et organisateur jusqu’en 2012. Mais pas seulement. « Carlito », comme le surnommait ses pairs, est aussi connu pour avoir affronté Ricardo « Pancho » Gonzalez, de 16 ans son aîné, dans l’un des matchs les plus longs et éprouvants dans l’histoire du tennis. C’était en 1969, à Wimbledon, quand le tie-break n’existait pas encore. Retour sur une partie où la vieillesse n’est pas toujours un naufrage.
C’est l’histoire d’un type au comportement de félin qui aimait les casinos et les femmes, marié six fois, père de huit enfants ; l’histoire d’un des plus grands joueurs de l’Histoire qui a déjà joué dans une comédie romantique américaine, qui buvait du Coca-Cola sur sa chaise et qui a longtemps détenu un record. Celui du match le plus long disputé dans l’histoire de la petite balle jaune. Nous sommes en juin 1969, sur le gazon de Wimbledon, quand le joueur américain d’origine portoricaine, Ricardo « Pancho » Gonzalez, 41 ans, demande à l’arbitre d’interrompre sa rencontre de premier tour au coucher du soleil. Il vient de laisser filer les deux premiers sets. Requête acceptée. En sortant du court, « le roi de la pleurnicherie », comme le qualifiait Rod Laver, présent ce jour-là en tribune, se fait siffler par une grosse partie du public. Le souci, c’est qu’il adore ça. « Ricardo, c’était un vrai sauvage, d’une susceptibilité incroyable, prolonge l’Australien. Après une défaite, je l’ai déjà vu abîmer sérieusement des armoires en fer ou tout casser dans les vestiaires. Mais il jouait tellement mieux énervé que calme. » Le lendemain, la rage au ventre, « Pancho » remporte finalement les débats en 5h12 et sur une marque baroque de 22-24, 1-6, 16-14, 6-3, 11-9. Un total de 112 jeux disputés face à un compatriote plutôt coriace. Son nom ? Charlie Pasarell, solide gaillard à la gueule carrée, de 16 ans son cadet, que l’on surnommait « Carlito ». Et dont l’idole de jeunesse n’est autre que son adversaire.
« Un vieillard en chaise roulante »
Evidemment, rien ne prédestinait ce rendez-vous à se faire une place dans l’histoire du tennis. Au départ, ce match doit se disputer le lundi, en troisième position. À cause de la pluie, il ne commence finalement que le mardi et, à cause de la nuit, se terminera le mercredi. La veille au soir, Pasarell sauve 12 balles de sets et glane la première manche 24 à 22. De son côté, Gonzales fait voler sa raquette, qui finit à quelques centimètres d’un ramasseur de balles, et laisse filer la deuxième (1-6). Il est 19h. Le soleil commence à se coucher. Mais cela fait déjà une bonne heure que Gonzalez se plaint du manque de visibilité. « Il n’y a de toute manière jamais assez de lumières pour lui », rétorque Laver. Quelques minutes plus tard, « Pancho Gonzales » obtient gain de cause et sort sous les sifflets du public, « drapé dans sa dignité et dans un survêtement rouge », poursuit Rod. « Nous avions l’impression qu’il nous haïssait et qu’il se haïssait lui-même. Il était prêt à tout pour gagner un match, allant même jusqu’à intimider les arbitres, les joueurs, les spectateurs ». Trop nerveux pour dormir, Gonzales garde la lumière allumée une bonne partie de la nuit dans sa chambre d’hôtel, préférant enchaîner les cigarettes et jouer au backgammon jusqu’à 2h du matin avec son épouse.
Baisers virtuels et cœur avec les doigts
C’est pourtant Pasarell qui, le lendemain, affiche la mine des mauvais jours. Il cède le troisième et quatrième set sur deux double-fautes. « Mon erreur, c’est de m’être réveillé ce matin-là en pensant que j’affrontais un vieillard en chaise roulante », confessera-t-il quelques années plus tard. Dans la cinquième manche, Pasarell se procure 5 balles de match. Toutes sauvées par Gonzales, dont l’une sur une volée plongeante. Une autre, sans bouger. « Charlie a lobé. J’ai commencé à reculer pour sauter mais mes jambes ne m’ont pas porté. Le lob est sorti de justesse, rembobine l’intéressé. Sur un point comme ça, Charlie a dû se dire qu’il ne pouvait pas gagner le match. » Le dos courbé, Ricardo utilise parfois sa raquette comme une canne pour marcher. Trop fatigué pour suivre le rythme en fond de court, il fonce au filet sur chaque point et s’impose sur une ultime erreur en retour de son adversaire. L’émotion est grande. « Pancho » fait des cœurs avec ses doigts et envoie des baisers virtuels à la foule. « Cette fois, Pancho sortit du court avec un large sourire et sous les applaudissements qui se prolongèrent pendant près d’une minute, ce qui est considérable pour un public britannique », note Rod Laver, futur vainqueur de l’épreuve. Qui ne sait pas encore que sa victoire sera éclipsée à jamais par ce qu’il vient de voir. « Grâce à ses dons d’acteurs, je suis certain que l’édition 1969 de Wimbledon restera dans les mémoires plus à cause de Pancho qu’à cause de moi. Il trouve toujours le moyen d’apparaitre comme le meilleur… » Surtout, en empiétant sur tout le reste du programme, Gonzales et Pasarell ont joué sans le savoir en faveur de l’introduction du tie-break, qui sera expérimenté pour la première fois dans un tournoi professionnel six mois plus tard, à Philadelphie. Ce n’était donc pas que l’histoire d’un type, c’était aussi celle du tie-break.