Si l’équipe de France s’est qualifiée pour les quarts de finale de Coupe Davis par BNP Paribas face au Canada, elle est encore loin du but. Comme le rappelait son capitaine Yannick Noah : “Cette génération, c’est zéro titre.” Mais les “Mousquetaires” ne sont pas la seule génération dorée à être passée à côté d’un titre qui leur tendait les bras. En 1984, la dream team américaine, composée de Jimmy Connors et John McEnroe, s’inclinaient face à la Suède avec ce qu’il faut d’arrogance, de paresse et de coups de gueule pour se tirer une belle balle dans le pied. Constituant ainsi l’une des plus grosses surprises de l’histoire du tennis.
Une bouteille de champagne emmitouflée dans un pull-over. Voilà le butin que la douane suédoise déniche dans la valise de Jimmy Connors un matin de décembre 1984, à l’aéroport de Göteborg. « Jimmy avait déjà tout prévu pour notre victoire », confessera quelques années plus tard John McEnroe dans son autobiographie, lui aussi du voyage. Les frères ennemis du tennis ne se sont pas réunis pour un week-end entre amis, mais pour disputer une finale de Coupe Davis par BNP Paribas. McEnroe et Connors sont alors respectivement numéros 1 et 3 mondiaux. Ultra favorite, la dream team américaine doit affronter son homologue scandinave, composée entre autres de Mats Wilander et de Stefan Edberg. Mais dès la descente de l’avion, la confiance affichée cache en réalité une désinvolture criante. « McEnroe et Connors se détestaient et étaient dans une forme déplorable, note le capitaine Arthur Ashe, qui a dû faire des pieds et des mains pour convaincre ses deux meilleurs éléments de venir. Mal rasé et débraillé, McEnroe semblait épuisé. » A vrai dire, ce dernier vient juste d’être suspendu trois semaines après une énième colère au tournoi de Stockholm. Il n’a donc aucune envie de remettre un pied en Suède, surtout pour jouer sur terre battue une semaine avant Noël. De plus, sa compagne, Tatum O’Neal, vient de passer l’éponge sur leur dernière engueulade et de reposer ses affaires dans l’appartement conjugal. « J’étais amoureux, je ne pensais qu’à la retrouver, mon esprit était à des années lumières du tennis, raconte l’intéressé. Mais j’ai promis à ma mère que je jouerai toujours pour mon pays si on me le demandait. » Connors, de son côté, a également la tête ailleurs : sa femme est sur le point d’accoucher de leur deuxième enfant. Alors, quand un chauffeur censé le récupérer à l’aéroport oublie le rendez-vous, la colère monte. John McEnroe: « Il a pris seul un taxi et dès qu’il est arrivé à l’hôtel, il a écrit en gros dans la neige un message pour Arthur Ashe. Qui disait en substance : ‘Je t’assure que je vais tirer la gueule le plus longtemps possible, espèce de connard.’ » Ambiance.
« Mon père avait honte »
Pour le premier simple, Jimmy Connors met ses menaces à exécution et s’incline face à Mats Wilander en trois petits sets. Défaite au cours de laquelle Jimbo pète littéralement les plombs après un léger litige avec l’arbitre, qui se fait alors traiter de « trou du cul » et d’ « enculé de pédé ». En conférence de presse, lorsqu’un journaliste le questionne sur son individualisme et le risque qu’il prend de disqualifier son équipe entière, Connors fait semblant de ne pas comprendre : « À quoi ça rime qu’on me pénalise quand je me défonce pour jouer sur terre battue en décembre ? » Pour le deuxième simple, John McEnroe, qui n’a perdu que deux matchs cette saison, passe le plus clair de sa rencontre à pester contre la qualité du court. « Un vrai champ de patates », répète en boucle celui qui, avant la rencontre, assurait que « la meilleure chance des Suédois serait d'évoluer sur un court rapide en double, et sur une surface lente en simples. Mais ils ne peuvent pas tout avoir. » Résultat : la paire américaine laisse filer les deux premiers simples de cette finale sans avoir remporté le moindre set. Le lendemain, la paire John McEnroe/Peter Fleming, jusqu’ici invaincue en Coupe Davis par BNP Paribas, ne prend qu’une manche à Stefan Edberg et Anders Järryd, terminant même sur une double faute de Fleming. L’humiliation est lourde. Jimmy Connors quitte ses coéquipiers avant les deux derniers simples et file rejoindre son épouse à la maternité. Il ne rejouera plus jamais un match de Coupe Davis par BNP Paribas ; la paire McEnroe/Fleming non plus. Le soir-même, alors qu’un diner protocolaire est organisé pour récompenser les gagnants et féliciter les perdants, McEnroe et sa bande quittent les lieux avant le dessert. Pile au moment où Hunter Delatour, président de la fédération américaine de tennis, prend la parole devant l’assemblée. « C’était un supplice, juge John. Mais quand Delatour a vu qu’il ne restait plus qu’Arthur Ashe à notre table, il a vu rouge. Il devait nous rendre hommage mais il changé son discours au dernier moment en disant qu’il était ‘embarrassé pour l’Amérique’ et qu’il avait ‘honte d’être le président de tels énergumènes’. Mon père était aussi présent à ce diner, il avait honte. » Au sortir de la réception, les Suédois, quant à eux, avec une moyenne d’âge de 20 ans, soit la plus jeune à avoir remporté un Saladier d’argent depuis les “Wonder kids” australiens de 1953, déambuleront tout le week-end dans boites de nuit de Göteborg, à l’hôtel et chez tous les habitants de la ville qui voudront bien leur ouvrir leur porte pour fêter ensemble la victoire. Selon Henrik Sundström, cinquième joueur de la bande scandinave avec Joakim Nyström, « il y eut beaucoup, beaucoup de champagne ».