Cette semaine à Delray Beach, en Floride, l’événement c’est le retour de Juan Martin Del Potro à la compétition plus de 320 jours depuis son dernier match officiel. Mais il y a plus de 30 ans, le tournoi faisait déjà parler de lui : Ivan Lendl et Larry Stekanfi décidaient en 1985 de jouer leur match de premier tour en s’arbitrant eux-mêmes. Avec l’aide du public pour annoncer le score. Retour sur une partie où les absents ont toujours tort.
C’est l’histoire d’un homme au masque glaçant qui s’arrachait les cils, d’un cogneur sans vergogne qui s’illustrait dans le passing long de ligne et d’une machine à gagner qui rentrait chez elle avec une coupe sous le bras, mais sans le moindre sourire. « Un champion dont le monde se fout », comme le titrait Sports Illustrated.« Croyez-vous que le public apprécie le fait que vous soyez un grand joueur de tennis ? », lui a-t-on demandé un jour. Sa réponse : « Je crois que oui. Mais je sais que le public attend autre chose de moi. Cette autre chose, je ne peux pas la donner. Je ne sais pas faire le clown. » À une petite exception près : en février 1985, au tournoi de Delray Beach, quand Ivan Lendl force sa nature et réussit un petit exploit personnel.. Lequel ? Provoquer un fou rire général dans les tribunes, suivi de longues minutes d’applaudissement. La raison ? Une légère boutade, évidemment. Alors qu’il vient de remporter son match de premier tour, Lendl s’avance au filet pour saluer son adversaire, Larry Stefanki, puis lève les yeux vers la chaise d’arbitre avant d’agiter sa main dans le vent pour faire semblant de le saluer. Semblant, car cela fait bien une heure qu’il y a plus d’arbitre sur cette chaise. Une heure qu’il n’y d’ailleurs plus aucun arbitre sur le court…
« C’était ridicule »
Luigi Brambilla est italien. Arbitre des eighties reconnu pour son sérieux et son professionnalisme, ce dernier affiche la mine des mauvais jours. Ses prises de décision sont hésitantes. Il ne cesse d’écorcher le nom de Larry Stefanki en Larry « Stefanski ». La tension sur le court est palpable. La table de marque affiche 6-2 3-0 et 40-15 pour Lendl sur son service. La première balle d’Ivan est jugée bonne, mais les deux joueurs la voient dehors. Luigi Brambilla ne veut rien entendre et annonce au micro : « Jeu Lendl. Lendl mène 4 jeux à 0 ». La réaction de Stefanki ne va pas se faire attendre. Il fustige du regard l’arbitre et lui demande des explications. Ce dernier ne veut pas en donner et n’a pas de temps à perdre. « Point de pénalité pour dépassement de temps, 0-15 », s’impose-t-il encore au micro. Abasourdi, Lendl entre lui aussi dans le game. Et signale qu’il ne souhaite pas de ce point « C’était ridicule, expliquera-t-il. Stefanki est l’un des mecs les plus gentils du circuit. Il n’a jamais râlé ou jeté une raquette de sa carrière. » Brambilla gonfle alors le torse, descend de son mirador et quitte même le stade pour aller se plaindre auprès de Thomas Karlsberg, le superviseur officiel. Moment choisi par Ivan et Larry, amis dans la vie, pour reprendre la partie au score de 4-0 et 0-0. Comme si de rien n’était.
« Il était juste dans un mauvais jour »
Quelques minutes plus tard, Brambilla tente bien de reprendre les choses en main mais les deux hommes n’ont plus l’intention d’écouter la tour de contrôle. Boudeur, Luigi quitte donc sa chaise à nouveau. Ses juges de ligne, par solidarité, font de même. Improvisée, l’organisation est désormais la suivante : le public se charge d’annoncer à haute voix le score mais ce sont aux joueurs de s’arbitrer eux-mêmes – ce qui n’est pas interdit pas les textes, donc non sanctionnable. Il en sera ainsi jusqu’au bout de la rencontre. Score final : 6-2 6-0. Malgré la défaite, Stefanki retiendra le caractère « divertissant » de cette partie. « Les fans ont adoré, on s’est fait un petit plaisir avec Ivan mais le match était réellement sous contrôle… Ce n’était pas un match amical » Score final : 6-2 6-0. « Brambilla est un bon arbitre. Il a travaillé partout dans le monde. Il était juste dans un mauvais jour », commentera, indulgent, le chef des superviseurs de l’ATP, Ken Farrar. Comme un inspecteur qui finit par faire la circulation, Luigi terminera le tournoi comme juge de ligne. Ivan Lendl, lui, se fera élimer en 16e de finale pat Stefan Edberg. Mais l’essentiel est ailleurs. « Il m’est déjà arrivé de jouer un match avec un arbitre nul qui avait oublié le score, mais encore jamais sans arbitre. » Dans l’histoire d’un homme, il y a toujours une première fois.