On l’a appelé le « crazy summer ». Au début de l’été 77, un orage provoque un black-out de quinze heures à New York, où se multiplieront pillages et scènes de violence. 4 000 arrestations plus tard, le « King » Elvis Presley tire sa révérence à Memphis. Ce vent de folie n’est pas retombé le 31 août quand débute le dernier US Open disputé sur terre battue, et dans le vieux stade champêtre à Forest Hills. Pourquoi l’édition 1977 vaudrait-elle un livre ou un documentaire ? Il y a au moins 10 raisons…
1/ Un spectateur flingué à la cuisse pendant un match de McEnroe
En novembre 1976, sort le film Two-Minute Warning qui montre un sniper tirer dans la foule au hasard pendant un match de football américain au Los Angeles Memorial Coliseum. C’est ce qu’un individu non identifié a peut-être tenté de reproduire moins d’un an plus tard pendant la rencontre McEnroe / Dibbs, disputée en nocturne sur le Central. Blessée à la cuisse, sa seule victime est évacuée. Le match est interrompu quelques minutes, mais mis à part les voisins de ce pauvre spectateur de 33 ans, personne n’a vraiment su ce qui s’était passé avant la fin du match.
2/ Un homme dans le simple dames
Refoulé(e) au casting à Roland-Garros et à Wimbledon, Renée Richards, ex Richard Raskind, joue le simple dames dix-sept ans après avoir joué le simple messieurs ! Ancien joueur de second plan, devenu par la suite ophtalmo et père de famille, a entamé sa troisième vie à l’US Open 1977, avec un premier tour disputé (et perdu, contre la future vainqueur, Virginia Wade) sur le court Central provoquant un « buzz » médiatique mondial. Les blagues (inévitables ?) ont fusé, le journaliste Christian Quidet ironisant même sur TF1 qu’il/elle pourrait jouer le mixte tout(e) seul(e).
3/ Un inconnu passe deux tours grâce à la raquette « maléfique »
Stupeur quand Mike Fishbach, classé au-delà de la 200è place, passe deux tours dans le grand tableau en ne laissant notamment que deux jeux au grand Stan Smith. Derrière cette surprise, il y a cette raquette double cordage, appelée familièrement raquette spaghetti, qui trouve les effets les plus pervers. Face à la polémique, la Fédération Internationale se réunit dans l’urgence, et réalise que rien dans le règlement n’impose de jouer avec une raquette normale ! Le patron du tournoi en profite même pour préciser qu’on peut se présenter sur le court avec un manche à balai si l’on considère pouvoir gagner avec. La raquette magique ou maléfique, c’est selon, a été définitivement mise au ban un mois plus tard, non sans avoir provoqué d’autres remous.
4/ Trash-talking
Les vedettes du circuit ne s’étaient sans doute jamais autant tapées dessus à coups de bons mots avant cet US Open 1977. Tout le monde s’y est mis, même les plus sobres ! Exemple avec Guillermo Vilas déclarant en milieu de quinzaine : « Si je n’étais pas sûr de gagner Forest Hills, il y a longtemps que je serai rentré à Buenos Aires pour m’offrir un bon steak argentin ! » Ce même Vilas a également animé le tournoi par sa passe d’armes avec Harold Solomon, qui l’a traité de pleurnicheur avant leur demi-finale. « Qu’est-ce qui vous impressionne le plus chez Solomon ? » lui a demandé un journaliste. « Sa grande gueule ! »
5/ De la poudre à canon sur le court
Lien direct avec le n°4. Cet été 77 voit le tennis changer de peau à tout point de vue. En finale, Jimmy Connors et Guillermo Vilas disputent un match dont la brutalité est sans doute le premier présage du tennis d’aujourd’hui. D’ailleurs, c’est peut-être précisément ici que le tennis s’est coupé à jamais du temps des gentlemen et des dilettantes. « C’est la guerre, lance Connors lors d’une analyse alors quasi-inédite. Deux types plus ou moins aussi fort l’un que l’autre face à face avec le même objectif… C’est un duel physique, psychologique, technique, tactique. Le tennis n’est plus un jeu de country club, c’est un énorme business. » Analyse étayée par l’apparition de blessures « nouvelles », comme la tendinite de Björn Borg qui l’oblige à abandonner…
6/ Le doigt de Nastase aux caméras
Le système des avertissements (avec point de pénalité pour les infractions les plus graves) est pour la première fois mis en place à l’US Open. Objectif : tenter de cadrer une confrérie de plus en plus indisciplinée. Il en fallait sans doute plus pour calmer le roi des rebelles, Ilie Nastase, qui lors de sa défaite au premier tour contre Corrado Barazzutti a fait part de sa frustration en faisant… un doigt d’honneur face caméra, en direct sur la télévision américaine !
7/ Le coup le plus fumant de la carrière de Connors
Fait unique dans un match de ce niveau : Corrado Barazzutti demande au juge de ligne de venir vérifier de plus près si une balle de l’Américain n’est pas hors limite, et Connors déboule comme une fusée pour effacer d’un coup de semelle la trace litigieuse. Le juge de chaise a bien tenté de lui donner une leçon de conduite, mais la star a repris tout de suite le jeu comme si de rien n’était, avec le point en poche ! Le coach de Guillermo Vilas, Ion Tiriac, a eu l’air d’apprécier : « S’il a l’intention de remettre ça en finale, j’irai moi-même sur le court lui régler son compte ! »
8/ Deux adversaires n’ont pas pu se serrer la main
En finale, c’est pourtant Vilas qui joue un drôle de coup à Connors. Sur sa quatrième balle de match, l’Argentin s’arrête de jouer sur une montée au filet de Connors qu’il voyait dehors. Sans attendre la décision du juge de chaise, Vilas s’approche du filet en levant les bras et une cohorte d’Argentins dévale tout schuss des tribunes, écrasant sur son passage un Connors déjà prêt à servir côté égalité. Furax, Connors a déjà quitté le court quand l’arbitre, que personne n’écoute plus, annonce son « game, set and match Vilas ». Il n’y a pas eu de poignée de mains entre les deux champions. Et Vilas, porté en triomphe pendant de longues minutes par ses compatriotes, assiste seul à la cérémonie de remise des trophées.
9/ Le pays où le client est (était!) roi
Quand les organisateurs annoncent la fin de la session diurne dès 16h45 le jour des huitièmes de finale, les spectateurs ont recouvert le court Central de canettes, de fruits, et de tout ce qu’ils ont trouvé à jeter. Face à la bronca, la direction a cédé ! Non seulement, les matches ont repris dans la foulée, mais ce jour-là personne n’a payé son billet nocturne…
10/ Une bombe dans les vestiaires des dames
Au dernier jour du tournoi, en guise de bouquet final, les grilles du stade ont été secouées par des manifestants anti-apartheid que le joueur afro-américain Arthur Ashe a dû lui-même aller raisonner, et une alerte à la bombe a vidé les vestiaires. C’est sur cette note que s’est achevée la soixantième et dernière édition de l’US Open au stade Forest Hills. Qui a laissé l’année suivante la place à Flushing Meadows.