Alors que se dispute cette semaine le tournoi ATP d’Hambourg, un joueur a marqué de sa folie cette étape du circuit il y a presque 15 ans. En 1991, Yannick Noah, au bord de la retraite sportive, décide de faire un dernier tour de piste en Allemagne. Son but ? « J’avais juste envie me payer une bonne cure de rire ».
Joakim, 6 ans, et Yelena, 5 ans, ne tiennent plus en place. Quand leur père, Yannick Noah, quitte Paris et le domicile familial en ce mois de mai 1991, il leur fait une promesse : « Je joue demain après-midi et je rentre demain soir. » Deux jours plus tard, même rengaine. En désespoir de cause, la décision est prise : les garnements se déplaceront eux-mêmes en Allemagne voir leur paternel, lequel vient de se qualifier pour les quarts de finale du tournoi d’Hambourg, les premiers depuis ceux disputés l’an dernier à Bâle, puis à Toulouse. En vérité, c’est la première fois depuis l’Open d’Australie, en 1990, qu’il gagne trois matchs d’affilée en compétition. Pas mal pour un homme qui, comme il le reconnaît alors dans l’Equipe, « s’est pointé ici la gueule enfarinée sans autre but que de prendre du plaisir ».
« Je lui ai foutu le bordel dans la tête »
C’est peu dire qu’en mai 1991, Yannick Noah n’a plus grand chose à faire de sa carrière sportive. Il vient juste d’enregistrer son premier 45 tours, Saga Africa. À 31 ans, il est même déjà capitaine de Coupe Davis par BNP Paribas. Mais alors, que vient faire le tournoi d’Hambourg dans son calendrier de préretraité, ses premiers matchs officiels depuis six mois ? « Bah pourquoi pas, répond Noah. J'ai demandé une wild-card et je suis content qu'on ait ici accepté un vieux nègre (sic) comme moi ! » Arrivé sur place à la dernière minute, il est opposé au premier tour à l’Australien Richard Fromberg. « J’ai été surpris de gagner ce match. En fait, je suis même surpris de jouer au tennis… Je lui ai foutu le bordel dans la tête et à partir de là, je lui ai fait une bonne mayonnaise qui a bien pris ». Le bordel ? Noah prend en effet le meilleur parti : celui d’en rire. Avant même que le premier jeu ne soit terminé, le Français joue avec les ramasseurs de balles, danse, chante, fait le pitre. Au deuxième tour contre le Suédois Magnus Larsson, il effectue un semblant de strip-tease langoureux et grimpe sur la chaise de l’arbitre en provoquant une vraie-fausse contestation devant l’hilarité générale. Larsson craque, accumule les fautes. Noah sert avec trois balles dans la main, imite John McEnroe à merveille, et boit même dans la coupe de champagne d’un spectateur avant de faire mine d’être secoué par des spasmes. « Pendant deux sets, c'était exactement la même chose qu'hier, rappelle-t-il après coup. Je déconnais contre un mec qui ne pouvait pas trouver sa concentration. Et puis j'ai eu tout d'un coup envie de faire autre chose. Il n'a y pas de ligne précise dans tout ça. Juste l'envie parfois de faire le con, et puis celle d'être sérieux. Comme tout un chacun dans la vie, quoi. » Malgré un ultime gag, lorsqu'il fouille dans le sac de son adversaire pour faire semblant d'aller y chercher une raquette, Noah joue avec une redoutable efficacité et file vers la victoire. Surprise ? « Comme Fromberg, Larsson me convenait tout à fait. J'avais tout ce qui faut pour l'emmerder. Après, je sais que si je veux aller beaucoup plus loin, il me faudrait passer par des tas de choses qui ne me branchent pas trop. Je n'ai pas de projets, je ne fais pas ça en terme de préparation. Je trouve ça marrant d'être encore là au troisième tour, c'est tout... » Sauf qu’après son deuxième show, il est mis à l’index par les organisateurs. Ces derniers lui infligent un avertissement pour « avoir dépasser les limites de l’acceptable ».
« Ne pas rentrer dans son jeu »
C’est donc avec plus de retenu que Yannick affronte en huitièmes de finale l’Italien Renzo Furlan. Ayant fait le voyage, ses enfants sont donc dans les tribunes. Et font le spectacle à sa place : le clan Noah applaudit bien fort les fautes de leur poulain. « Tout le monde avait envie que je rentre à la maison plus tôt et que j’arrête la plaisanterie ». La petite famille devra patienter encore un peu : en moins de deux heures, le plus sérieusement du monde, Noah remporte son match sur un ultime ace et se qualifie pour les quarts face à Magnus Gustafsson. Un adversaire qui sait déjà à quoi s’en tenir. « J'avais décidé de ne pas le regarder et de surtout pas rentrer dans son jeu », confessera le Suédois après sa victoire. Pour le Français, le happening prend fin à un match du dernier carré. Sans déception aucune. Son projet ? Glisser une dernière fois sur la terre battue de Roland-Garros dans quelques jours. Malgré l’obtention d’une wild card, il ne sent finalement pas prêt physiquement et préfère renoncer. Avant de prendre sa retraite officielle en toute fin de saison. L’année suivante, au tournoi d’Hambourg, la rumeur enfle : Yannick préparerait un retour surprise sur les courts, financé par les organisateurs du tournoi pour raviver les bons souvenirs et amuser la galerie. Un bruit de couloir rapidement balayé par l’intéressé : « Mon retour à Hambourg ? Comme joueur, ça m’étonnerait. Comme chanteur, peut-être… »