Au départ, Novak était condamné à rester l’éternel troisième homme du tennis mondial, derrière le Suisse Federer et l’Espagnol Nadal, une sorte de François Bayrou de sa discipline. Un destin auquel évidemment, Novak a tordu le cou.
Juillet 2015. Finale de Wimbledon. Roger Federer a beau avoir joué son meilleur tennis depuis longtemps –certains considèrent même sa demie contre Andy Murray comme l’un de ses meilleurs matchs ever, digne du Roger 07- Djokovic est écœurant. Et son tennis encore plus. Malgré un début de match très serré, l’issue est inéluctable, la défaite pour Roger. Puissance balkanique, longueur parfaite, angles impossibles : le jeu de Djokovic est d'une sauvagerie qui dépasse le génie. Tous ses coups sont libérés pour gagner. Même Roger le dompteur n’y peut rien. Plus il veut contrôler la bête, plus les coups de cette dernière se retourne contre lui. Jusqu’à la morsure finale. 7-6, 6-7, 6-4, 6-3. D’ailleurs, c’est bien là l’une des seules choses que Roger n’a su maîtriser, lui qui contrôle tout, que ce soit le tempo d’un match, le story-telling de sa carrière, ou même le temps qui passe, tout en patience et mécanique, tel un horloger suisse.
Doux-dingue, pour ne pas dire fou
Djokovic, lui, n’est ni suisse, ni horloger, et surtout pas dans le contrôle. Au contraire, le Serbe donne l’impression d’être encore en train d’apprivoiser son propre jeu. Comme s’il ne faisait que saisir des fulgurances qui lui échapperaient, alors qu’il en est l’auteur. Un peu comme ce musicien qui cherche à saisir la petite musique qu’il entend depuis toujours dans sa tête. Djokovic ne dicte pas son jeu, ni à lui ni à personne, puisqu’il le subit, le tempère, voire l’appréhende. Résultat, Djokovic s’est avant tout construit à travers lui-même et son jeu est à son image, doux-dingue, pour ne pas dire fou. Et s’il ne donne pas cette impression de gestion que peut dégager un Federer, encore moins ce refus de la défaite et ce mental d’acier propre à un Nadal (mental qui même aujourd’hui, alors que son jeu semble plus que fané, laisse croire à toute la planète tennis qu’un retour au sommet de l’Espagnol est toujours possible), Djokovic les a dépassé, tout en figurant une sorte de fusion des deux. De sorte qu’aujourd’hui, on peut poser ce théorème : Nadal joue pour ne pas perdre, Federer pour faire des beaux points gagnants et Djokovic, ce saligaud, pour faire perdre l’adversaire.
Contre-pied et aïkido
Car au fond, Djokovic est le même joueur qu’à ses débuts. Baroque, imprévisible, puissant, spontané et déroutant. Et là où un Federer a dû se calmer et tempérer ses ardeurs -afin de casser de moins raquettes et gagner plus de matchs -, Djoko a choisi d’embrasser sa condition et de ne surtout pas mettre d’eau dans son tamis. Au contraire. Et son jeu, c’est celui du contreur offensif poussé à son paroxysme. D’abord, un physique exceptionnel, tout en endurance, souplesse et rapidité, changements de direction et couverture du terrain exponentielle. Ensuite, un sens du rythme qui rend celui de l’échange difficilement soutenable pour son adversaire, souvent déboussolé par une telle décharge d’énergie. Bien sûr, il faut ajouter à cela une technique sans faille, un sens de l’anticipation supérieur, et des réflexes proche du surnaturel. Pas pour rien que le revers de service figure son meilleur coup, le plus démoralisant pour l’adversaire. Tout dans son jeu est tourné vers le contre-pied. Un enfer pour l’adversaire, d’autant que, plus ce dernier attaque Djoko, plus ça risque de se retourner contre lui, au sens propre comme au figuré. De sorte que cette notion de contreur offensif, à ce niveau, devient limite de l’aïkido. Reste tranquille, ça vaut mieux pour toi.
La volée d'Achille
C’est à force de voir son jeu se retourner contre lui que Djoko a compris comment retourner son adversaire, quel qu’il soit. Le Serbe est toujours aussi imprévisible, mais ne possède plus aucune faille dans son éventail, à part peut-être la volée qu’il n’utilise presque pas, même sur le vert gazon de Wimbledon. D’ailleurs, ce dernier titre glané à Londres malgré l’immense déception vécue à Roland-Garros, prouve la nouvelle force mentale de Djokovic. Au final, quand on regarde son tournoi, le Serbe –qui n’avait joué aucun match sur la surface avant son premier tour- n’a pas été incroyable-incroyable, et en finale, il se « contente » de resserrer les boulons pour ne laisse aucune chance au maître des lieux. De sorte que cette année, Djokovic est devenu le premier homme à battre Federer sur son gazon de Wimbledon, et Nadal sur sa battue de Roland-Garros ; ça vous classe un joueur de tennis, en même temps qu’un certain sens de l’histoire. Mais de là à croire que François Bayrou finira Président...