Peter Lamb et la polémique de la Coupe Davis 1978

16 juil. 2015 à 17:12:24

Peter Lamb et la polémique de la Coupe Davis 1978
Menacée d’exclusion, l’équipe d’Afrique du Sud de Coupe Davis 1978 croyait avoir trouvé la parade, en sélectionnant Peter Lamb, un méconnu joueur de couleur de 19 ans…

Chahutée par les anti-apartheid et menacée d’exclusion de la compétition, l’équipe d’Afrique du Sud de Coupe Davis par BNP Paribas croyait avoir trouvé la parade en ce mois de mars 1978, en sélectionnant Peter Lamb, un méconnu joueur de couleur de 19 ans, pour affronter les Etats-Unis. Un choix politique plus que sportif…

 

Dans les années 70, l’Afrique du Sud est une source importante de crispation dans le concert des nations. Sur le plan géopolitique mais aussi culturel et sportif. Avec cette question : faut-il faire comme s’il s’agissait d’un pays comme un autre ? La légitimité des sportifs sud-africains et des événements sportifs organisés sur place suscite le débat, car continuer à faire comme si de rien n’était peut signifier une sorte d’approbation silencieuse de la scandaleuse politique intérieure menée sur place. Laquelle est claire : séparation stricte des races, les « blancs » étant considérés comme supérieurs aux autres. De la pure ségrégation, connue sous le nom d’ « apartheid ». La polémique est d’autant plus intense dans le monde du tennis que l’Afrique du Sud est un pays qui raffole de la raquette, avec à la fois de joueurs locaux très performants sur le circuit international et des tournois de qualité organisés sur place. Alors, boycott ou pas boycott ? Lors de l’édition 1974 de la Coupe Davis par BNP Paribas, l’Inde avait choisi la première option, se privant de participer à la finale face aux Sud-Africains, laissant à ces derniers le titre gagné sur tapis vert…

 

A Nashville, la colère gronde…

A mesure des années, la polémique ne va faire qu’empirer et les soutiens de l’Afrique du Sud se faire de plus en plus rare. Lors du congrès annuel de la fédération internationale de tennis (ITF) organisé à Hambourg en 1977, plus de la moitié des participants votent l’exclusion du pays de la Coupe Davis par BNP Paribas. Le règlement stipulant qu’il faut les trois-quarts des voix pour entériner cette décision, l’Afrique du Sud reste en lice pour participer à l’édition 1978 de la compétition. Au tirage au sort, elle hérite d’abord de la Colombie pour son entrée en lice (victoire 4-1 à Johannesburg), puis des Etats-Unis. L’affrontement est programmé les 17, 18 et 19 mars aux Etats-Unis. La fédé locale choisit la Vanderbilt University de Nashville, dans le Tennessee, pour accueillir l’événement. Mais quelques semaines auparavant, la polémique commence à gronder sur le campus : plusieurs associations étudiantes protestent contre cette décision. En outre, la fédé sud-af’ est sous le coup d’une enquête de l’ITF. Sous pression, elle décide alors de sélectionner, en plus des membres habituels de l’équipe, un inconnu nommé Peter Lamb. Ce dernier est un joueur universitaire de 19 ans, qui étudie précisément à la fac de Nashville et qui a comme particularité d’être « de couleur », autrement dit noir de peau.

 

Lamb, étudiant manipulé

Par ce choix, la fédération sud-africaine croit pouvoir éteindre la polémique mais c’est tout le contraire qui va se produire. Pour tous les observateurs, médias en tête, il s’agit d’un acte purement politique, une manœuvre cynique sans aucune cohérence sportive. Car Lamb, s’il est alors le numéro 1 de la section tennis à la Vanderbilt University, est loin d’avoir le niveau international requis pour participer à une telle compétition. Repéré à ses 16 ans dans un township du Cap par Arthur Ashe alors qu’il était l’un des meilleurs jeunes de couleur sud-africain à l’époque, il avait reçu une bourse pour partir étudier aux Etats-Unis et fuir l’apartheid. Un bon garçon, ce Lamb, mais assurément un jeune manipulé à des fins politiques qui le dépassent. Dans les journaux de l’époque, il réfute pourtant toute instrumentalisation et déclare vouloir honorer cette sélection, qui peut constituer une étape décisive dans sa quête de passer pro. Des militants anti-apartheid le pressent de décliner l’invitation, le harcèlent même par téléphone, mais il décide tout de même de rejoindre l’équipe sud-africaine pour préparer l’événement.

 

L’été 78, l’Afrique du Sud enfin exclue

Finalement, ce n’est pas lui mais Ray Moore, membre régulier de l’équipe, joueur blanc, qui finit par jeter l’éponge. Lassé, dit-il, par l’instrumentalisation politique menée par sa fédération et son pays, il ne se rend pas à Nashville, où débute sous haute tension la confrontation face aux Etats-Unis. 5 000 spectateurs véhéments, dont une majorité siffle copieusement l’équipe sud-africaine, assistent aux matchs. Et exultent pour les victoires américaines de Vitas Gerulaitis et Harold Salomon en simple, tandis que l’Afrique du Sud parvient seulement à remporter le double. Peter Lamb est simple remplaçant et ne dispute pas un seul match du week-end. Quelques mois plus tard, au congrès de l’ITF cette fois organisée à Stockholm, l’Afrique du Sud est enfin exclue de la compétition. Elle ne fera son retour qu’en 1992, à la fin de l’apartheid. Quant à Peter Lamb, il n’atteindra jamais les sommets espérés. Sur la fiche qui lui est dédiée sur le site Internet de l’ATP, ne figurent que deux mentions : une 440e place mondiale atteinte en 1980 – a priori son plus haut classement – et un dernier match sur le circuit perdue en deux sets face à Guy Forget lors du Challenger de Johannesburg en avril 1982.

 

Par Régis Delanoë

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