L’étonnant Roland-Garros 1995 de Younès El Aynaoui

20 mai 2015 à 11:18:13

Hommes et femmes réunis, ils sont 224 participants aux qualifications de Roland-Garros à rêver chaque année du parcours de Younès El Aynaoui, il y a tout juste vingt ans, en 1995…

Hommes et femmes réunis, ils sont 224 participants aux qualifications de Roland-Garros à rêver chaque année du parcours de Younès El Aynaoui, il y a tout juste vingt ans, en 1995. Cette année-là, le Marocain s’en était extirpé pour s’inviter en huitièmes de finale du grand tableau. De la ligne 9 du métro parisien, arrêt Michel-Ange Molitor, au court Suzanne-Lenglen contre Andre Agassi, retour sur un tournoi mené à grandes enjambées.

 

Il règne une ambiance de joyeux charivari en cette première semaine de Roland-Garros 1995, à commencer par les allées et tribunes – présidentielle comprise – où les Barjots du handball, brillants fêtards récemment sacrés premiers champions du monde de handball, se chargent de montrer à des spectateurs bien trop sages à leur goût ce que sont de « vrais » chants de supporters. Présent sur le court 10 au passage de la troupe de braillards le premier lundi, Mats Wilander lâchera : « Autant de boucan, je n’avais jamais vu ça ailleurs qu’en Coupe Davis ! » Sur les courts aussi, l’heure est au grand bazar, avec des qualifiés visiblement inspirés par le fait d’avoir joué leur pré-tournoi sur site, et non plus au stade Jean-Bouin voisin : Mikaël Tillström sort Goran Ivanisevic, n°4 mondial, au premier tour, Andrew Ilie s’occupe de Richard Krajicek, n°15, et Gérard Solves se permet de mener d’un set et d’un break face à l’épouvantail du tournoi, Thomas Muster, lors de son entrée en lice. À la fin de la première semaine, ils sont trois héros des « qualifs » encore en course : le Roumain Adrian Voinea, l’Australien Scott Draper et le Marocain Younès El Aynaoui.

Grande tige efflanquée d’un mètre quatre-vingt-treize, El Aynaoui est le premier joueur de son pays à atteindre les huitièmes à Roland-Garros. Monté 48e à l’ATP un an plus tôt, il est redescendu depuis au 224e rang mondial. « Je m’étais installé dans un certain confort », admet celui qui, petit, sur les courts du Stade Marocain de Rabat, rêvait « de devenir le nouvel Ivan Lendl. » Alors pour ne pas tirer un trait sur ce vœu d’enfant, « je me suis fait violence, explique-t-il. En arrivant à Roland-Garros cette année-là, je n’avais pas le moindre sponsor. Seul Royal Air Maroc m’offrait les billets d’avion pour mes déplacements. Pour le reste, c’était système D. »

 

« Le métro m’a porté chance, alors j’ai gardé cette petite superstition »

 

À Paris, il s’épargne une ruineuse semaine d’hôtellerie en se faisant héberger par des amis marocains qui possèdent un appartement dans la capitale. Tous les matins, il empoigne son équipement et s’engouffre dans le métro. Terminus : la station Michel-Ange – Molitor, la plus proche du stade Roland-Garros. « Au début, comme j’étais là pour les qualifications et que les voitures de l’organisation ne venaient pas chercher les joueurs des ‘qualifs’, je n’avais pas d’autre choix que de prendre le métro. Et puis bon, comme ça m’a porté chance, j’ai gardé cette petite superstition et j’ai continué à venir à Roland-Garros en métro même une fois dans le grand tableau. »

Car sur le terrain, son tournoi vire au conte de fées. Lui qui, Challengers inclus, ne passait pas le moindre « cut » en qualifications de tournois depuis le début de l’année, survole celles de Roland-Garros : 7/5 6/2 contre l’Ukrainien Dimitri Poliakov, 6/1 6/1 contre le Néo-Zélandais Steven Downs, et finalement 6/3 6/2 face à un joueur qui connaîtra lui aussi sa folle épopée parisienne par la suite, le Belge Filip Dewulf. Profitant d’un tirage au sort clément dans le tableau principal, Younès El Aynaoui poursuit sa folle série aux dépens d’un… lucky loser, Alex Lopez-Moron (7/5 6/3 6/3), du spécialiste des surfaces rapides Patrick McEnroe (6/2 6/1 6/3) et d’un autre qualifié, Andrew Ilie, tombeur précédemment de Krajicek, donc. Matricule 224 à l’ATP contre dossard 256 : un affrontement de mal classés inédit à ce stade de la compétition dans l’histoire de Roland-Garros. Et c’est le Marocain qui l’emporte, 6/2 7/5 6/2. Il est en huitièmes de finale et n’a pas perdu le moindre set en six matchs. Directeur technique national de la FFT, Patrice Dominguez ne sait trop quoi penser : « Il est grand, sec, avec un côté grand fusil qui se marie bien à sa qualité de première balle et son très bon coup droit. Mais je ne suis pas sûr que cela suffise au tour suivant : à l’échange, il sera dominé, et au filet l’inconnue est totale. On ne sait pas réellement de quoi il est capable. »

 

Agassi plus fort que Maradona

 

Entré dans sa troisième semaine de tournoi, l’affaire ne peut effectivement que se compliquer pour Younès El Aynaoui, confronté en huitièmes à Andre Agassi. L’amoureux des transports en commun contre le seul tennisman toujours flanqué d’une armée de gardes du corps : le choc des mondes est saisissant. Interrogé sur ce curieux adversaire, l’Américain n’a pas d’autres mots que : « Je ne le connais pas, non. » Il ne se souvient pas que sa route a déjà croisé celle du Marocain, quelques années plus tôt, alors que ce dernier n’était encore qu’un semi-pro s’étant payé un stage à l’académie de Nick Bollettieri, en Floride, à force de cours donnés aux jeunes de divers tennis-clubs. « Agassi a débarqué un soir, à dix heures passées. Il cherchait un sparring et j’étais le seul gars encore sur place. Nous avons joué un set, qu’il a évidemment gagné », se souvient El Aynaoui, cadet d’un an de la vedette américaine.

Pour autant, il n’est pas intimidé à l’heure de le défier à Roland-Garros et, tout sourire, lance aux journalistes : « Au Maroc, nous n’avons qu’une seule idole : Diego Maradona. » Mais en 1995, Maradona est en bout de course et Agassi, numéro 1 mondial. Comme Patrice Dominguez s’y attendait, le match est à sens unique : battu 6/4 6/2 6/2, l’aventure s’arrête là pour Younès El Aynaoui… du moins provisoirement. Souvent blessé, il disparaît des radars les années suivantes, avant de connaître ses meilleures saisons à trente ans passés, quarts de finale à l’Open d’Australie (2000, 2003) et à l’US Open (2002, 2003) à la clé, avec une 14e place mondiale pour meilleur classement. Mais même arrivé si haut, jamais il ne battra Andre Agassi. Ni n’oubliera le plan du métro parisien.

 

Par Guillaume Willecoq

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