La résurrection du service à la cuillère

30 oct. 2019 à 11:00:00

La résurrection du service à la cuillère
Rendu célèbre par Michael Chang, le service à la cuillère est de plus en plus utilisé ces derniers temps. Notamment grâce à Nick Kyrgios et ses facéties cumulant des vues par millions sur les réseaux sociaux.

Pourtant loin d'être un saint sur le court, Nick Kyrgios est érigé au rang de pape par certains fanatiques. Le pape de la provocation. Celui dont la férule n'est pas en forme de croix mais de cuillère, symbole du service considéré par bon nombre d'apôtres du fair-play comme l'ultime blasphème au tennis. "C'est un petit peu un manque de respect, explique Benoît Paire en 2015 après une victoire contre Sadio Doumbia, un habitué de cet engagement. C'est quelque chose que je n'apprécie pas beaucoup, mais ce n'est que mon avis."

Dieu du service à la cuillère, Michael Chang descend ce coup sur terre, battue, en 1989. À Roland-Garros, âgé de 17 ans, il convertit la foule à sa cause en crucifiant Ivan Lendl, numéro 1 mondial, avec ce geste. Popularisé, il reste toutefois rarement utilisé par les icônes du circuit ATP au cours des années suivantes. Jusqu'à l'arrivée de Kyrgios. Aidé par les réseaux sociaux, l'Australien permet la résurrection de cette technique reprise par de plus en plus de fidèles ces dernières saisons.

Regulièrement, le natif de Canberra fait lever la curie. Peu importe l'adversaire, il peut dégainer sa cuillère à tout moment. À Rome, sans doute titillé par quelques critiques hérétiques de Daniil Medvedev quelques temps auparavant, il lâche sa frappe sournoise dès le premier point du match. Moins de deux mois plus tard, à Wimbledon, il passe un ace-amorti à l'éminence Rafael Nadal. S'il use de cette roublardise, ce n'est pas seulement pour épater la galerie et faire intérieurement fulminer l'adversaire. Non. C'est aussi parce qu'elle est stratégiquement efficace.

"Le service à la cuillère est définitivement une tactique, déclare Roger Federer en guise de bénédiction lors d'une conférence de presse à Dubaï. En particulier contre les gars collés à la bâche au retour. De ce point de vue, ça ne devrait pas être une honte de le tenter. Pourquoi ne pas essayer ? Vous aurez juste l'air idiot si vous ratez. Parce que le problème, c'est que vous ne servez jamais comme ça à l'entraînement. Alors, quand vous êtes dans un gros match devant un stade plein, c'est risqué, piégeux de le faire."

L'autre dogme de ce coup de patte, c'est l'impact psychologique : il a le pouvoir de faire vivre l'enfer aux joueurs mentalement friables. "Un match de tennis, c'est dans la tête que ça se passe, confesse Patrice Hagelauer - ancien entraîneur, notamment, de Yannick Noah et de l'équipe de France de Coupe Davis - au cours d'une interview accordée au Monde. C'est un vrai combat. Quand on vous gagnez un point en servant à la cuillère, c'est comme si vous mettiez une droite en pleine tête de votre adversaire."

"En compétition, le but du tennis est de perturber le jeu de l'adversaire, le mettre sous pression en variant vitesses, effets, trajectoires et hauteurs des balles, prêche Judy Murray sur Twitter. Et cela inclut le service. Kyrgios est un génie. Je suis étonnée que le service à la cuillère ne soit pas utilisé par plus de joueurs." Néanmoins, le nombre d'adeptes croît. Parmi eux : Alexander Bublik. En pleine ascension, 51e mondial à 22 ans, le Russe naturalisé Kazakh en 2016 est souvent considéré comme un "Kyrgios", moins médiatisé, pour ses fantaisies. Mais lui, il joue sourire aux lèvres. Heureux d'être sur le court. Toujours.

D'autres utilisent l'engagement par en-dessous en raison d'une abjuration de la méthode classique. En avril, à Bogota, Sara Errani commet 54 doubles fautes en 3 matchs. Pour résoudre le problème ; solution radicale. Le tour suivant, elle excommunie Bibiane Schoofs - 6/1 6/2 - en servant 64 % de ses services à la cuillère (35 sur 55). Si le pape était autorisé à se fiancer, Nick Kyrgios n'aurait sans doute pas pu résister à l'envie d'offrir sa "cuillère de mariage" à la petite italienne. Comme le faisaient, jadis, les Bretons pour demander leurs dulcinées en épousailles.

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