Dans une biographie récemment parue en Angleterre, le journaliste Mark Hodgkinson révèle le parcours tortueux d’Ivan Lendl, surveillé par les services secrets de la Tchécoslovaquie communiste, répudié par son propre pays puis exilé aux Etats-Unis. Une histoire digne d’un bon roman noir.
Ivan Lendl est âgé de 8 ans quand les forces armées soviétiques mettent un terme brutal au Printemps de Prague en 1968. Le gouvernement tchécoslovaque veut introduire un « socialisme à visage humain », autorisant la liberté de la presse, d’opinion et d’expression. Mais les réformes entreprises depuis janvier sont stoppées par les tanks de Brejnev. Le petit Ivan assiste au funeste défilé et gardera ce triste épisode en mémoire. Dès lors, comme le révèle la biographie du champion Ivan Lendl: the man who made Andy Murray, signée de l’Anglais Mark Hodgkinson, lui et sa famille vont bénéficier d’une surveillance appuyée de la Sécurité d’Etat. Equivalent du KGB en Tchécoslovaquie, cette dernière est sinistrement connue sous les initiales StB. Créée juste après la Guerre en 1945, elle étend encore un peu plus sa mainmise sur le pays après 1968, avec un traitement particulier pour les éléments considérés comme « subversifs », possibles « ennemis de l’intérieur ». Ivan Lendl grandit dans cette atmosphère étouffante de suspicion. Né de deux parents joueurs de tennis (sa maman Olga a notamment été un temps numéro 2 tchécoslovaque), c’est tout naturellement qu’il passe son enfance et son adolescence raquette en main. Il se révèle doué dans le maniement de la balle jaune, très doué même. A tel point qu’à 18 ans en 1978, il intègre le circuit professionnel ATP et dispute cette même année son premier tournoi du Grand Chelem à Roland-Garros.
« Une relation intime avec une miss Nouvelle-Zélande »
Que Lendl, comme ses compatriotes tennismen et tenniswomen de l’époque, reçoive une telle autorisation montre tout de même que le régime politique tchécoslovaque est plus souple que certains voisins du Bloc de l’Est. En RDA par exemple, la pratique professionnelle du tennis est prohibée car étant considéré comme un sport bourgeois, ce qui tuera dans l’œuf la potentielle grande carrière d’un certain Thomas Emmrich, immense talent du tennis qui n’a jamais pu s’exprimer hors des frontières étriquées de l’Allemagne de l’Est. Le jeune Ivan, lui, peut parcourir le monde pour y disputer les tournois de tennis, mais il est tout de même surveillé par les autorités, qui se méfient d’éventuelles défections… Et pour cause, trois ans avant en 1975, Martina Navratilova, qui démarre alors son immense carrière, profite de sa participation à l’US Open pour se rendre au service immigration des Etats-Unis et demander sa carte verte, qu’elle ne mettra qu’un mois à recevoir. Choquées et en colère, les autorités tchécoslovaques la déchoient de sa nationalité dans la foulée. Lendl peut-il « trahir » de la sorte ? Pour le savoir, il faut intensifier sa surveillance. C’est ainsi que le 16 janvier 1982 très exactement, la StB officialise l’ouverture d’un dossier sur le joueur et sa famille. Grâce à un espionnage digne du film La vie des autres, les enquêteurs veulent savoir quelles sont exactement ses relations avec l’Occident et combien d’argent il gagne. Mark Hodgkinson, qui s’est procuré le dossier en question (nom de code : « Ivan », tout simplement), révèle que même la vie intime de Lendl est scrupuleusement fouillée. Une « relation intime avec une miss Nouvelle-Zélande » est ainsi rapportée. Surtout, la StB apprend qu’il gagne pas mal d’argent et qu’il a l’air de plutôt bien apprécier la chose. Dans le rapport, il est inscrit ceci : « Il est entendu que Lendl n’est pas seulement un grand joueur de tennis et un homme bien mis, c’est aussi un businessman compétent. » Ce qui n’est pas forcément la plus grande des qualités dans un pays communiste… « Ce qui m’a conduit au tennis fut d’abord de pouvoir fuir la Tchécoslovaquie, puis je me suis rendu compte que ça pouvait aussi me permettre de gagner de l’argent, ce qui est devenu ma principale motivation », reconnaît Lendl au journaliste anglais dans la biographie. Cette propension à gagner beaucoup et à aimer ça ne fait que renforcer la surveillance, qui devient de moins en moins discrète… En 1984, alors que l’équipe tchécoslovaque de Coupe Davis est logée dans un hôtel au pays, en attendant de disputer un tour face à la France, Lendl demande à changer de chambre, ce qui lui est refusé. « Ils vont jusqu’à écouter les bruits que je fais quand je suis au lit avec une fille, c’est ça ? », s’agace-t-il auprès de son capitaine Jan Kodes.
L’apartheid, Bush et Vaclav Havel
Un an avant en 1983, le divorce est déjà consommé entre Lendl et son pays, lorsque le joueur accepte l’invitation du régime d’apartheid d’Afrique du Sud à venir disputer un tournoi exhibition à Sun City, non loin de Johannesburg. Les autorités tchécoslovaques lui ont expressément interdit de s’y rendre, son refus d’obéir lui coûtera cher. Il est condamné à payer une amende de 150 000 $ et est snobé par les médias locaux, qui ont interdiction de faire mention de ses résultats. En 1986, alors qu’il remporte son deuxième US Open de suite, il déclare se sentir comme chez lui aux Etats-Unis et précise qu’il aimerait même jouer pour l’équipe américaine de Coupe Davis. Un an plus tard, il enfonce le clou dans une interview accordée à un journal allemand : « Je ne peux pas représenter un pays dont je rejette le régime ». Car politiquement, Lendl est un adepte des pensées les plus libérales : Thatcher, Reagan, Bush père… Il ira jusqu’à entretenir une correspondance écrite, et même une forme d’amitié avec ce dernier, à qui il envoie ses vœux de réélection en 1992 (il sera finalement battu par Clinton). « C’est ma première occasion de voter et bien sûr je voterai pour vous et le Parti Républicain », lui affirme-t-il fièrement. Car à l’époque, Lendl vient de recevoir la précieuse carte verte dont il avait officiellement fait la demande en 1988. Il veut participer aux Jeux olympiques de Séoul pour les USA, mais il attendra les 4 ans règlementaires pour obtenir la nationalité américaine. Et il tourne vite et définitivement la page de ses origines, comme l’explique Mark Hodgkinson : « Marc Howard, un ancien entraîneur de Lendl, m’a dit qu’il a voulu une fois avoir une conversation avec lui au sujet des nouveaux espoirs de démocratie en République Tchèque, soulevés par Vaclav Havel. Ivan a mis un terme brutal à la discussion, disant quelque chose comme ?Tout là-bas est empoisonné par le communisme?. Il semblait avoir une vraie hostilité désormais à l’égard de ce pays. »