Novembre 2000, c'est tombé dans les abîmes du classement et souffrant d'une blessure récurrente à l'épaule que Goran Ivanisevic se présente au tournoi de Brighton. Loin, très loin de la forme de sa carrière. A priori, pas de quoi s'en souvenir treize ans plus tard. A priori...
Dans la longue, belle et sulfureuse carrière de Goran Ivanisevic, le dimanche 8 juillet 2001 est sans aucun doute tout en haut. Enfin vainqueur d'une finale à Wimbledon en cinq sets contre Patrick Rafter, le Croate remporte alors son unique tournoi du Grand Chelem, à trente ans et après une décennie de finales perdues. Mieux, il entre dans l'histoire comme le premier joueur wild card à remporter un Grand Chelem. Car c'est oublier que le joueur sort tout juste d'une lente descente aux enfers... Un an plus tôt, c'est même avec le statut de 136ème joueur mondial qu'il se présente au premier tour de l'anonyme Samsung Open de Brighton. Le grand serveur ne le sait pas encore, mais il est sur le point de rentrer dans l'histoire comme le premier joueur… contraint d'abandonner après avoir cassé toutes ses raquettes. Flashback.
Gêné depuis un an par une blessure récurrente à l'épaule qui perturbe sa mécanique de serveur-volleyeur acharné, Goran Ivanisevic n'est plus, en cette fin d'année 2000, que l’ombre du grand joueur qu'il a été. Pire, c'est sur une série de sept défaites au premier tour qu'il pénètre sur le court contre l'Italien Gianluca Pozzi (42ème mondial). Premier évènement : le Croate s'impose en trois sets 3/6 7/5 7/5. Mais trouve néanmoins le moyen de gueuler sur une juge de ligne, qui en touche deux mots à l'arbitre. Ce qui a le don de l'agacer : « Quand j'étais jeune à l'école, j'ai toujours détesté les élèves qui allaient voir les professeurs pour leur répéter ce que les autres faisaient. Là, c'est la même histoire. » Pour ceux qui en doutaient, le joueur est bel et bien sous tension. Mais le meilleur est à venir. C'est au second tour et face au Coréen Hyung-Taik Lee, 99ème joueur mondial que Goran Ivanisevic va écrire une partie de sa légende. Le show peut commencer.
« Gerry, j'ai plus de raquette »
Dans le premier set, à 5-5, le Croate perd son service et casse de rage une première raquette sur le sol. Il reçoit alors un premier avertissement. Après un deuxième set remporté, il remet ça dans le troisième. Après plusieurs balles de break manquées à 1-1, il casse une seconde raquette. Direction poubelle. Encore. Pour un nouvel avertissement. Deux jeux plus tard, lâché à 1-3, il commet une double faute. Alors mené 15-40 sur son service, il casse, dépité, une troisième raquette. Troisième avertissement, un point en moins et un terrible constat pour le joueur : sa troisième raquette est en fait sa dernière.
A ce moment-là, Goran Ivanisevic comprend qu'il est allé trop loin. Il appelle alors le superviseur Gerry Armstrong et lui lâche la sinistre vérité : « Gerry, j'ai plus de raquettes ». Le Gerry en question se souvient très bien de la scène épique : « Je lui ai demandé s'il avait la moindre chance d'en trouver une dans le temps imparti, qui était de 3 ou 4 minutes. Je lui ai même proposé de demander à son partenaire de double Ivan Ljubicic s'il avait une raquette dans son casier qu'il pouvait utiliser ». Goran Ivanisevic lui répond alors qu’Ivan Ljubicic utilise une Slazenger qui ne lui convient pas. L'air de rien, devant un public clairsemé, c'est bien à un moment de l'histoire de tennis que l'on assiste. Un peu pris de court, Gerry Armstrong se rappelle avoir notifié la fin du match : « J'ai annoncé aux spectateurs qu'il ne pouvait plus continuer à cause d'un "manque d'équipement approprié". C'est venu à mon esprit d'un coup. »
« Je peux casser une raquette sur l'eau. J'ai une habileté spéciale »
Récemment, Goran Ivanisevic est revenu sur les évènements pour The Tennis Space. Avec des mots plutôt sincères : « J'étais la première personne à perdre un match parce que j'avais brisé toutes mes raquettes. Ce n'était pas une satisfaction. Au moment où je casse la dernière raquette, j'étais heureux. Et ensuite j'ai compris : "What the f ***, je n'ai plus de raquettes !" Et je me suis senti stupide. L'arbitre est venu sur le court et m'a dit : "Qu'est-ce que je peux bien vous dire ?" Et j'ai répondu : "Je ne sais pas, c'est vous l'arbitre !". C'était étrange, mais c'était moi. »
Avant de lâcher la bride : « Je n'ai jamais compris pourquoi les gens ont un problème avec les joueurs qui cassent des raquettes. Quand vous cassez une raquette, tout le monde vous hue. De quoi ils se mêlent ? Tout d'abord, c'est ma raquette. Deuxièmement, si je veux casser la raquette, je vais casser la raquette. Je vais ensuite oublier ça et en prendre une nouvelle dans mon sac. Et le match continue. Si vous avez du talent comme moi, vous pouvez casser votre raquette sur n'importe quelle surface. Je peux casser une raquette sur l'eau. J'ai une habileté spéciale. » Oui, treize ans plus tard, le souvenir demeure intact.