JOUER AU TENNIS SOUS L'EMPRISE DE L'ALCOOL EST-IL CONSEILLE ?

3 mai 2013 à 00:00:00

Prendre un verre d’alcool avant un match à enjeux, est-ce bien judicieux ? L’alcool, véritable produit dopant ou simple liquide sucré ? Tentative de réponse, à lire à l’heure de l’apéritif.

Prendre un verre d’alcool avant un match à enjeux, est-ce bien judicieux ? L’alcool, véritable produit dopant ou simple liquide sucré ? Tentative de réponse, à lire à l’heure de l’apéritif.

 

« Juste injouable ». Marc Rosset s’amuse encore d’un souvenir presque potache. C’était il y a quatre ans, entre copains, lors d’un match de tournoi interclubs en Suisse. « La veille, on avait fait une sacrée soirée et je ne sais pas pourquoi, on a décidé d’aller jouer au tennis. C’est d’ailleurs la seule fois où j’ai essayé ». Vraiment la seule fois ?  En 1992, une semaine avant le début des Jeux Olympiques de Barcelone qu’il remportera, le joueur helvétique assure avoir bringué du côté de Genève. Il loupe la cérémonie d’ouverture, puis remporte à bout de souffle son match de premier tour. « Peut-être que j’avais besoin de suer tout ce que j’avais bu la semaine dernière », lâche-t-il à l’époque. En effet, sur un plan physiologique, l’alcool inhibe la production d’une hormone qui favorise la réabsorption de l’eau au niveau des reins. Moralité : sous l’emprise de l’alcool, un joueur transpire, urine plus et se déshydrate. Stéphane Cascua, médecin du sport à Paris, poursuit : « Ce sont des termes techniques mais l’alcool bloque aussi une enzyme appelée LDH comme Lacticodéshydrogénase. La LDH enlève un hydrogène à l’acide lactique, cette substance qui envahit vos muscles lors d’efforts intenses. L’alcool empêche l’élimination de cette toxine musculaire ». En clair, l’alcool aurait tendance à « couper les jambes ». D’ailleurs, l’éthanol ne figure pas sur la liste des substances interdites par la Fédération internationale de tennis (ITF) et plus généralement par l’Agence Mondiale Antidopage (AMA), à l’exception de certaines disciplines comme le karaté, l’automobile ou le tir à l’arc. Preuve que la boisson n’aiderait pas à la performance. Surtout, et cela va sans dire, en cas d’abus. En 1933, l’Australien Jack Crawford (1908-1991) manque de rentrer dans l’Histoire comme le premier à faire le Grand Chelem pour un apéro trop corsé à la fin du troisième set d’une finale de l’US Open. « Au lieu de suivre son adversaire afin de se changer et de se faire masser, Jack se rendit dans la tribune où était assis sa femme, alluma une cigarette, absorba une boisson qui ressemblait étrangement à quelque liqueur et s’installa dans ses vêtements tout imprégnés de transpiration », rapporte le compte-rendu de Tennis & Golf.

 

Schnaps, cognac et petit-bras

Pour Jean-Pierre de Mondenard pourtant, ancien médecin du Tour de France, l’alcool a des vertus dopantes : « Les premiers contrôles anti-dopage ont bien eu lieu sur l’alcool, lors des JO de 1968 de Mexico. Sur les 670 contrôles effectués, un pentathlète moderne s’est fait prendre avant son épreuve de tir. Il buvait pour ne pas trembler. » Cognac, gin, schnaps, la recette miracle contre le phénomène du « petit-bras » au moment de conclure. « L’alcool, c’est un stimulant du système nerveux central, poursuit Jean-Pierre de Mondenard. Dans tous les manuels d’entretien d’embauche, il est conseillé de prendre une coupe de champagne juste avant. Sur un court, c’est la même chose. Ça vous désinhibe, ça vous donne une meilleure maitrise du geste ». Une théorie validée par André Agassi dans son autobiographie. Le Kid de Las Vegas raconte s’être aidé de l’alcool pour jouer. Le tout parfois mélangé à de la méthamphétamine. « Agassi a dit tellement de choses contradictoires qu’il aurait mieux fait de fermer sa gueule ou de rendre tous les prix qu’il a gagnés, riposte quant à lui Jean Paul Loth, ancien capitaine français de Coupe Davis par BNP Paribas. Je n’accorde aucun crédit à ce qu’Agassi raconte. Il a berné tout le monde pendant 20 ans. Et quand on berne le monde pendant 20 ans, on a au moins la décence de se taire. En dehors d’Agassi, qui a pu affirmer s’être aidé de l’alcool pour jouer ? » Arthur Larsen, Whitney Reed, John McEnroe, Boris Becker ou bien encore Yannick Noah, qui un jour expliquera : « Quand je suis nerveux, il m’arrive de boire un petit coup de cognac pour me relaxer. »

 

« Quand je suis bourré, je suis le meilleur joueur du monde »

Et aujourd’hui alors ? Des seventies aux « années Federer », l’alcool serait-il passé d’une pratique glamour et subversive à une mœurs taboue et outrageante ? Marc Rosset prend le problème dans l’autre sens : « Avant ça jouait à deux à l’heure. Je pense que si vous vous enfilez un coup de cognac et que vous devez recevoir aujourd’hui le service de Milos Raonic, ce serait un peu plus compliqué, non ? ». Pour Jean-Pierre de Mondenard, la réponse s’apparente plutôt à une simple question d’image : « Cela dévalorise leur performance. Avant, l’alcool, comme le dopage, n’avait pas la même connotation. C’était de ‘la débrouillardise’, disait-on. Si vous lisez des récits de montagnards, ils étaient tous imbibés. Aujourd’hui, ils ne le racontent plus. » Pas plus qu’à l’époque selon Jean-Paul Loth : « Sincèrement, je n’ai jamais vu dans un vestiaire de tennis, et Dieu sait que je les ai fréquentés, un joueur prendre une goutte d’alcool avant ou pendant un match. Mais d’une certaine façon, si ça avait pu l’aider à ne pas faire caca dans son pantalon avant de monter sur un court, je ne m’y serais pas forcément opposé. Mais oui, je veux bien admettre qu’Arthur Larsen ait pu affirmer avoir joué sous l’emprise de l’alcool ». En effet, en 1956, l’Américain affronte au troisième tour de Roland-Garros Georges Deniau. Ce dernier s’en rappelle encore : « Tappy, son surnom, c’était un type très fantasque, bringueur, qui aimait se coucher très tard, se lever très tard ; quelqu’un qui préparait ses matchs sans s’entrainer, sans se préparer. Par contre, c’était un grand joueur ! ». La veille, une soirée est organisée dans la banlieue ouest de Paris. Bien entendu, Larsen répond présent. « Moi personnellement, je suis allé me coucher relativement tôt. Là-bas, j’avais des copains avec moi qui m’ont dit : ‘Ne t’inquiète pas Georges, Larsen n’est pas couché. Et en plus, on va te l’arranger pour demain’ ». Le lendemain matin, personne ne sait à quelle heure Tappy est finalement rentré chez lui. Une chose est certaine, il a quitté la fête sur les coups de cinq heures du matin, deux œufs au jambon et une dernière bière dans le ventre. « Résultats des courses, j’ai pris 6/0 6/2 6/2. Au troisième jeu du premier set, Larsen m’a quand même sorti : ‘Tu sais Georges, j’étais bourré hier soir. Et quand je suis bourré, bah je suis le meilleur joueur du monde !’ »

 

Par Victor Le Grand

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