#WeAre10nis Marion Bartoli : « Cette finale de 2013, c'est le concentré de ma vie »

7 déc. 2021 à 06:00:00 | par Florian Lefèvre

Marion Bartoli
We Are Tennis fête ses 10 ans ! A cette occasion, nous vous faisons revivre cette décennie incroyable à travers une série d’articles sur les faits et joueurs qui ont marqué ces 10 dernières années.

Le 6 juillet 2013, Marion Bartoli écrit l'une des plus belles pages de l'histoire du tennis français et remporte le tournoi de Wimbledon en dominant Sabine Lisicki en finale. Si la tête de série n°15 n'a affronté aucune joueuse mieux classée qu'elle, elle réussit surtout à conclure sa quinzaine londonienne sans concéder le moindre set. Retour sur un rêve.

Enfant, le jour de votre neuvième anniversaire, vous aviez commandé trois cadeaux : des perles, un Monopoly et une victoire à Wimbledon. Pourquoi ce tournoi et pas un autre ?

À l’époque, le tournoi est diffusé en clair sur France Télévisions. Tout le mois de juin, à la maison, entre Roland-Garros et Wimbledon, on est collé devant la télé. En voyant mon idole Pete Sampras soulever ce trophée doré sur ce court tout en vert absolument sublime, la famille royale et tout le prestige associé au tournoi… Je me dis : « Oh la la, si un jour on annonçait mon nom… » C’était mon rêve.

 

Un rêve qui devient réalité vingt ans plus tard. Quand vous entendez la speakeuse annoncer « la vainqueure de Wimbledon 2013 est Marion Bartoli », qu'est-ce qu'il se passe dans votre tête ?

Beaucoup de flash-backs de mon enfance. Je repense aux millions de balles de tennis que j’ai frappées au boulodrome de Retournac, mon village de Haute-Loire, à ces entraînements dans le froid… Mon papa me disait : « Tu vas voir, un jour, quand tu auras le jeu le plus important de ta vie à jouer, tous ces paniers de service te serviront… » Et il avait raison. 

 

Et aujourd’hui, quelle est la première image qui vous revient quand vous songez à ce sacre en Grand Chelem ? 

Honnêtement, il y en a beaucoup. Pas uniquement de la finale, mais aussi de moments de doutes. Vu mon début de saison galère, c’est un peu miraculeux ce qu'il se passe à Wimbledon cette année-là. 

 

Dans quel état arrivez-vous à Londres ?

Très fatiguée. Je vais de petits virus en petits virus. À cause d'une tendinite au tendon d'Achille, parfois, au réveil, j'arrive à peine à poser le talon par terre. J'ai aussi une tendinite à l'épaule droite. Bref, tout part en sucette ! C'est ma quatorzième année sur le circuit professionnel. Pour rivaliser avec les championnes que j'ai la chance d'affronter – et parfois de battre -, vu que je n'ai pas les mêmes qualités de base, il me faut compenser avec un volume de travail énorme. Et à force, ça m'a usé sur le plan physique. 

 

Avant ce Wimbledon, vous avez décidé de changer votre structure d'entraînement. Votre père, qui vous a toujours entraîné, n'est plus votre coach depuis quelques semaines. Pourquoi cette décision ? 

Parce que j'ai la sensation qu'il me faut une autre méthode, ou du moins, je veux me donner la chance d'essayer autre chose. Alors, je m'entraîne avec Thomas Drouet, mon sparring-partner. Amélie (Mauresmo, ndlr) nous supervise en tant que capitaine de Fed Cup. Et puis, il y a un préparateur physique, Nicolas Perrotte, détaché par la FFT, et un kiné, Antonin Mouchet. Plutôt que ce soit mon papa qui gère absolument tout, ce qui n'est pas facile, plusieurs personnes gèrent des tâches bien définies. 

 

Quel est votre état d'esprit au moment de débuter le tournoi ?

On part un peu la fleur au fusil. On se dit qu'on va prendre les matchs petit à petit, qu'on va bien voir... Puis, une deux, trois, quatre, cinq victoires, et en quart de finale, en battant Sloane Stephens sur le court numéro 1, au bout d'un match très difficile, je sens vraiment un déclic. Derrière, je suis convaincue que la victoire finale ne peut plus m'échapper.

 

Durant la quinzaine, vous avez l'habitude de passer vos soirées seule. Cette solitude n'est pas trop pesante ?

Non, car je suis d’une nature très solitaire. Quand je veux me faire un plateau télé devant la fin des matchs, je peux le faire. Je ne suis pas obligé de m'habiller pour ''paraître'', d'aller au restaurant ou de passer du temps à discuter. Être dans ma bulle, ça me permet de rester focus sur les choses basiques du quotidien : me lever, arriver à bouger mon épaule à peu près correctement, arriver à bouger mon tendon d'Achille à peu près correctement... Chaque jour, je retrouve un peu plus d'énergie. Chaque jour, je bouge un peu mieux sur le terrain. Après, bien sûr, la confiance prend aussi le dessus.

 

En quoi avoir déjà disputé une finale à Wimbledon six ans plus tôt contre Venus Williams vous aide ?

C'est capital. En 2007, c'est arrivé soudainement. À l'époque, je viens de battre Justine Henin, une immense championne. C'est déjà un séisme dans le monde du tennis. Je n'ai pas vraiment eu le temps de préparer la finale contre Venus Williams. J'ai terminé la demi-finale le vendredi soir, avant d'enchaîner directement le samedi. Je me rappelle m'être réveillée en me disant : « Ça y est, je suis en finale de Wimbledon ! Je vais le jouer le match dont je rêve depuis toute petite... » Je joue devant des gens... Il y a le patron d'une marque à la virgule dans mon box... J'ai une grosse pression. Je ne dis pas que j'aurais pu battre Venus si j'avais su gérer cela, mais en tout cas, j'aurais pu faire un match plus accroché (défaite 6-4, 6-1, ndlr). 

 

En 2013, votre adversaire, l'Allemande Sabine Lisicki, a avoué à son tour avoir été « submergée par l'évènement ».

Avant d'entrer sur le court, j'ai lu pas mal de peur dans son regard. Quand vous sortez des vestiaires, vous descendez les escaliers devant la galerie des trophées et là, vous attendez dans une antichambre avant que la télé ne donne le ''top'' pour entrer sur le court. À ce moment-là, j'ai ressenti toute la pression, la tension qui a pesé sur elle. J'ai eu un flash-back de ma finale de 2007. Je me suis dit : « Si elle est dans le même état que moi il y a six ans, je vais pouvoir en profiter... » Il n'en demeure pas moins que la fin de match a été extrêmement tendue.

 

Vous expédiez le premier set 6-1. Le deuxième prend le même chemin, vous avez trois balles de match à 5-1, mais la pression vous rattrape au moment de conclure...

Sabine est perdue sur le terrain, moi je me sens tellement bien... À 5-1, je crois que je mets un énième revers gagnant pour mener 15-40. J'ai plusieurs fois écouté les commentaires de Guy Forget et Frédéric Viard sur Canal. Sur le moment, ils disent : « Ça y est, le match est fini... » Le problème est que moi, sur le terrain, je le pense aussi et je me suis complètement figée. Si vous avez un dixième de seconde de retard sur service qui arrive à 190 km/h au lieu de mettre un bon retour, vous tapez trop court et votre adversaire fait un bon point gagnant. Là, Sabine se détend un peu, le public pousse, ça va tellement vite... Je commence à me dire : « Si elle fait ci, que je fais ça, qu'elle revient à 5-5, qu'est-ce que je vais faire ? » Perdre une finale de Wimbledon après avoir mené 6-1, 5-1, 15-40, très honnêtement, je pense que je n'aurais pas réussi à m'en remettre.

 

Justement, comment avez-vous fait pour conclure après le changement de côté à 5-4 ?

C’est toute la difficulté. C’est à moi de servir. J’essaie de me reconcentrer sur les choses que je maîtrise : « Je peux contrôler la zone que je vais toucher, les premiers coups, jouer long, mon jeu de jambes, l’intensité... » Mon plan de jeu, quoi. Je réussis à gagner ce jeu blanc, mais le premier point où je défends, je retourne la situation et je finis par un court croisé gagnant. Ce point-là est le tournant. Derrière, j’ai pu me libérer.

 

Au niveau émotionnel, une finale, c'est le concentré d'une carrière ?

En fait, cette finale de 2013, c'est le concentré de ma vie. Je m'explique : je ne démarre pas très bien, je me fais breaker d'entrée en faisant deux doubles, puis je me concentre, je sais ce que j'ai à faire, je me sens très bien physiquement... Et au moment de conclure, patatras ! Donc il a fallu puiser toutes les ressources que j'ai accumulées depuis toute petite pour aller chercher mon rêve.

 

À 28 ans, c'est votre 47e tournoi du Grand Chelem. Vous y avez toujours cru ?

En fait, chaque année, j’ai au moins eu une petite chance. En 2011, je suis en demi-finale à Roland. En 2012, je suis en quart de finale à l'US Open, je mène 4-0 d'entrée contre Maria Sharapova et finalement, je m'incline 6-4 au troisième set le lendemain... Donc en 2013, je sais que je ne suis pas très loin et je ne me suis jamais découragée.

 

Dans votre autobiographie, intitulée Renaître (Flammarion, 2019), vous évoquez des phrases blessantes entendues plus jeune : « Cette fille est bidon. Au mieux, elle sera -15. Elle est nulle, elle n'avance pas. » Cette victoire à Wimbledon a été une revanche ?

Bien sûr qu'il y a un petit sentiment de revanche. En fait, ça m'a nourri de recevoir autant de critiques rabaissantes. Je me suis nourri de ça pour leur prouver qu’ils avaient tort. Et si j’avais grandi dans un environnement où on m’avait chouchouté, où on m’avait dit que j’étais la plus belle et la meilleure, peut-être que je n’aurais pas développé ces qualités de bagarreuse dont il faut faire preuve pour aller chercher un titre du Grand Chelem.

 

En ce moment, au cinéma, Will Smith joue le père des sœurs Williams. Est-ce que l’histoire de ce père devenu entraîneur qui n’était pas du milieu du tennis à la base résonne avec votre histoire personnelle ?

Même si je n’ai pas été une immense championne comme Serena et Venus, je m’identifie beaucoup à ce film. C’est d’ailleurs pour cela qu’on est très amies avec Venus et Serena. Leur père, Richard, a toujours été extrêmement gentil avec mon papa. Ils ont eu une accolade sincère après la finale de Wim’ en 2007. C’est des gens qui sortent du moule au départ. On leur dit que ce n’est pas comme ça qu’il faut faire, que d’autres personnes s’y connaissent mieux, qu’il faut les écouter… Sauf qu’ils ont eu la volonté de ne pas suivre un parcours pré-défini, de ne pas faire comme tout le monde. 

 

Ce père entraîneur anti-conformiste n’était pas forcément bien vu au sein du système fédéral français. Pourtant, vous êtes la seule tricolore qui a remporté un Grand Chelem ces quinze dernières années. Est-ce que votre réussite a fait évoluer les mentalités en France ?

Quand je vois qu’aujourd’hui, les entraîneurs privés sont acceptés en Fed Cup, que tout est mis en place au sein de la FFT pour intégrer davantage les parents à travers des formations... C'est des choses qui n'existaient pas à mon époque et j'en suis ravie. Si mon exemple a pu servir à faire évoluer les mentalités, j’en tire une grande fierté, parce que je pense qu’on ne peut pas réussir des projets aussi difficiles sans les parents. Et on le voit avec des champions comme Roger, Rafa ou Novak : la famille est extrêmement présente, d’une manière ou d’une autre.

 

Trois ans après ce Wimbledon, vous avez participé et terminé le marathon de New York. Quelques semaines avant, vous étiez alitée dans un service de réanimation. En franchissant la ligne d’arrivée, est-ce que les émotions étaient comparables à cette victoire à Wimbledon ?

Absolument. Je suis arrivée à des difficultés extrêmes à cause de mon anorexie. J’ai perdu presque toute ma masse musculaire. Alors, quand je suis arrivée à New-York, tout le monde s'est dit que je n'allais pas y arriver. Au dernier moment, on a réussi à obtenir un dossard pour mon frère qui, lui, est un triathlète confirmé. Il a l'habitude de courir des longues distances. Il m'a dit : « On va courir à ton rythme. Je suis sûr que tu vas y arriver. » Le matin, à l'aube, vous quittez Manhattan dans un car... Ça me rappelle l'US Open. Ils ferment toutes les rues. Puis, vous partez pas vagues. Durant la course, je n’ai jamais eu de crampes. J’ai couru jusqu’au bout quoi. Ça a été une immense fierté de me voir terminer ce marathon dans les rues de Central Park que je connais tellement parce que j’allais à New York depuis l’âge de 15 ans. Je me rappelle des larmes de mon père, de ma mère, qui ne pensaient vraiment pas que j’allais y arriver. J’ai utilisé toutes mes ressources de joueuse de tennis pour finir ce marathon au mental au bout de 5h40. Cela m’a permis de me prouver que j’étais en vie.

 

Qu’est-ce que ça vous fait de revenir désormais à Wimbledon pour commenter les matchs ?

C’est une joie indescriptible. J’ai tellement de fierté à mettre chaque matin mon petit badge violet, qu’on vous attribue parce que vous avez gagné Wimbledon. Ces dernières années, j’ai ramené mon mari, ma fille.... L’année prochaine, elle comprendra davantage et je pourrai lui dire que maman a gagné là (rires). Moi, petite fille de Retournac, je retrouve mon nom gravé avec les noms les plus prestigieux du tennis.

 

Le boulodrome de votre village, qui était votre terrain de jeu, existe-t-il toujours ?

Je n’y suis pas retournée depuis un moment. Mon frère, qui a encore des attaches, m’a raconté que le boulodrome est encore là mais qu’il n’y a plus personne pour s’entraîner dedans. C’est un endroit qui a marqué mon enfance et mon parcours tennistique. Encore une fois, si j’avais eu des conditions d’entraînement plus faciles, je n’aurais peut-être pas développé toutes mes qualités. Je pense que ce n’est pas dans la facilité que l’on se réalise le mieux. 


Sur la liste de cadeaux de vos neuf ans, il y avait donc gagner Wimbledon, un Monopoly et des perles pour faire des bracelets. Vous avez eu les deux autres cadeaux, alors ?

Oui, d’ailleurs, le Monopoly a donné lieu à des parties endiablées ! J'étais tellement mauvaise perdante que mon père et mon frère finissaient par me laisser gagner, sinon, on ne serait jamais allés se coucher. À la fin, ils craquaient. Ce qui est rigolo aujourd'hui, c’est qu’avec mon mari, qui est aussi un grand compétiteur, quand on joue à des jeux de société, on entend les mouches voler parce que chacun souhaite le pire à l’autre quand il lance les dés ou tire une carte... Et puis, les bracelets, vous le voyez dans mes interventions, je continue d’en porter beaucoup aux poignets. C’est des passions qui m’ont toujours suivi.

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