Allure massive, épaules étoffées et buste épais, Stan Wawrinka est ce qu'on appelle un "beau bébé". Surtout aux yeux de Miroslava Vavrinec Federer, plus connue sous le surnom de "Mirka". Lors du Masters 2014, son cher et tendre affronte l'ami Wawrinka en demi-finale. Le match est tendu. À 4/4 dans le dernier set, le "Stanimal" a le poil hérissé. Il se plaint auprès de Cédric Mourier, l'arbitre. "Chaque fois que je suis de son côté, elle (Mirka) g***** juste avant que je serve, explique-t-il. C'est insupportable. Elle a fait pareil à Wimbledon (en quart de finale, victoire de Federer)."
"Cry, baby ! Cry !"
Quelques minutes après, à 5/5 40-40 - moment crucial - le Vaudois se positionne pour retourner. Puis, il se redresse. Plusieurs pas en arrière, un tour sur lui-même, et il se tourne vers la tribune. "Pas juste avant le service !", lance-t-il à la dulcinée de Roger. "Pleure, bébé ! Pleure !", lui rétorque celle-ci. M. Federer, lui, ne bronche pas. Il laisse l'homme perché faire son boulot. Pas question de se déconcentrer ou se brouiller publiquement avec son rival du soir. Dix jours plus tard, ils doivent disputer, ensemble, la finale de la Coupe Davis face à la France et offrir le premier Saladier d'argent à la Suisse.
Telle est notre réalité. Muni du générateur de vortex de Sliders : les mondes parallèles, j'ai pu en découvrir une autre. Un univers alternatif où Roger Federer n'a pu rester de marbre au milieu de la joute verbale opposant "Mirka" à "Stan".
Voyant son compatriote pointer sa raquette en direction de sa bien-aimée, "Rodger" explose. Le visage déformé par une ineffable colère, l'envie furieuse de défendre son épouse, il fait trembler les murs de l'O2 Arena en adressant à son cadet un "SHUT UP !" autrement plus puissant que celui de Roland-Garros 2012. Dans la salle, plus un mot. Comme lors des duels au Revolver des films de western, les spectateurs attendent le dénouement, les coups de gâchettes, dans un silence de mort. Se fixant droit dans les yeux, les deux hommes avancent vers le filet.
Western tennis
Pas du genre à garder sa langue dans sa poche - Jean-Vincent Placé et Jo-Wilfried Tsonga peuvent en témoigner -, "Stan the Man" tire le premier. "Ta femme, c'est une calamité, lance-t-il. 'Mirkalamité' ; on devrait l'appeler !". "'Wawrinkalamité', ça marche aussi, réplique l'homme aux 20 titres du Grand Chelem. Retourne au fond, je vais te donner une bonne raison de pleurnicher !" Malgré une Miroslava en remettant une couche avec le son du téléphone poussé à fond pour cracher les pleurs d'un nourrisson, l'arbitre parvient à calmer l'algarade.
Enveloppé dans une odeur de gaz prêt à exploser à la moindre étincelle, le jeu reprend. Entre "COME ON !" accompagnés de poings serrés et regards assassins après chaque coup gagnant, la rencontre se termine de façon identique à notre monde. Federer s'impose 4/6 7/5 7/6 en sauvant 4 balles de match. "Légère" différence, dès le dernier coup de raquette, "Mirka", absente pendant le final, est de retour en tribune pour lancer un paquet de couches sur le court. Comme dans notre univers, Federer, touché au dos, n'est pas en état de jouer le lendemain. Forfait, il "offre" le titre à Djokovic.
Discorde au pays de la neutralité
Mais le duel avec Wawrinka laisse plus que des séquelles physiques. John McEnroe rapporte une discussion virile dans le vestiaire. Lorsqu'ils se retrouvent dans la foulée pour la finale de la Coupe Davis, les tensions ne sont pas apaisées. Ils ne s'adressent plus la parole. Lors de la première journée, aucune différence avec ce que nous connaissons. Wawrinka s'impose contre Tsonga et Monfils égalise en dominant Federer. En revanche, le double est d'un tout autre scénario. Aucune entente au sein du duo "Federinka". C'est comme s'ils jouaient chacun un simple dans leur moitié de terrain. Sans jamais communiquer.
Benneteau et Gasquet l'emportent. Tranquillement, 6/2 6/1 6/3. Wawrinka, sur le dernier point, commet même une double faute suspecte en envoyant sa seconde balle droit dans le dos de son "partenaire-ennemi". Le dimanche, dans le troisième simple, Federer écarte la menace Gasquet. Place au cinquième match décisif : Monfils - Wawrinka. Là, le public tricolore joue un rôle machiavélique. Muni de perruques et masques à l'effigie de "Mirka", il scande des "Cry, baby ! Cry !" après chaque point gagné par "La Monf'". Malgré sa solidité mentale, le vainqueur de l'Open d'Australie 2014 ne peut résister à une telle pression.
Public machiavélique
S'il tient le choc un temps, sa tête finit par être envahie de pensées parasites. Il se visualise en couche devant tout un stade, des millions de téléspectateurs et perd tous ses moyens. Monfils, lui, est sur un nuage. Victoire 7/5 6/2 6/0. Attristé par le sort réservé à son coéquipier en pleurs sur sa chaise, Federer, les larmes aux yeux, s'approche pour lui tendre amicalement un paquet de mouchoirs. Wawrinka le regarde, un court instant, et en attrape un. Dans un sourire, il l'offre à Federer en joignant trois mots à son geste : "Cry, baby ! Cry !". Les deux compères éclatent de rire et se tombent dans les bras.