Et si Roger Federer débarquait à Roland-Garros, comme il le souhaite, sans disputer le moindre tournoi officiel de préparation ? Il y a 30 ans, un autre monument du jeu prenait le même risque, quasiment au même âge, avant d’atteindre les quarts de finale.
Le choix fait par Roger Federer de zapper le trio Monte-Carlo/Madrid/Rome est un « luxe ». Nul n’ignore que le règlement actuel sanctionne d’un beau zéro pointé les Top Players qui font ainsi l’impasse sur les Masters 1000... Sauf si le joueur en question a disputé plus de 600 matchs ATP, est âgé de plus de 30 ans, et a passé au moins douze années sur le circuit, trois critères que Federer remplit haut la main. Cette carte « joker » abattu dans la foulée d’un premier trimestre exceptionnel, on le sait, doit l’aider à récupérer un peu de batterie avant la saison sur gazon. Une stratégie inédite de la part du Suisse, approuvée par le patron de Roland-Garros, Guy Forget : « Il va arriver un peu comme à l’Open d’Australie, avec une vraie fraicheur. Ce choix de ne pas jouer d’ici Roland va dans le sens de ce qu’il vient de vivre. Il a un vrai fonds de jeu, des repères, de la confiance. »
Peut-être que l’ancien numéro 1 français se souvient-il qu’à son époque, Jimmy Connors avait élaboré le même plan avec succès ? En 1987, alors encadré par un règlement beaucoup plus laxiste qu’aujourd’hui, l’Américain avait en effet choisi d’arriver directement à Paris, sans passer par la case Italie, Espagne, Allemagne ou Monaco... Avant Roland-Garros, Connors reste sur un quart de finale à Tokyo, sur dur, mi-avril. À 34 ans et 8 mois (contre 35 pour Roger Federer aujourd’hui), Connors ne vise pas le titre parisien, mais cherche juste à faire bouger un peu ses gambettes avant de mettre le cap sur Wimbledon, un objectif plus réaliste pour lui que Roland-Garros. Même philosophie et même détachement, tout du moins en apparence. « Il arrivera ce qu’il arrivera, glisse la star américaine en arrivant à Paris, diminuée par des problèmes intestinaux. C’est de la faute à ma fille, qui m’a refilé un parasite... ». Tiens, tiens, ne pense-t-on pas là au bain donné par Papa Federer à ses jumelles l’an passé, et pendant lequel le Suisse s’est froissé le dos ?
Une bière en conférence de presse
Mais c’est d’abord dans le plaisir de jouer, et dans cet amour absolu du tennis, que Connors et Federer sont en tout point semblable. Face à un journaliste qui lui demande lors de la première semaine de ce Roland-Garros 1987 si c’est sa dernière saison, Connors s’agace : « Laissez-moi vos cordonnées. Je vous promets que quand j’aurai décidé d’arrêter, je vous passe un coup de fil et je vous réserve le scoop. » Ce qui le tient encore en vie alors qu’il a déjà gagné plus de 100 titres sur le grand circuit ? Comme Federer... « J’aime le tennis. Pas forcément les voyages, et tout ce qu’il y a autour. Mais le jeu, alors là, oui. J’aime l’atmosphère, cette montée d’adrénaline avant un match qui me fait devenir de plus en plus nerveux. » Le comparatif s’arrête en revanche lorsque Connors joue son meilleur rôle, celui du provocateur capable de se pointer en conférence de presse avec une bière à la main (ce que ne fera sans doute jamais Federer) pour célébrer sa victoire au deuxième tour contre l’Allemand Michael Westphal, après plus de 4 heures de jeu : « Je ne me sens pas d’âge. Je pourrai décourager n’importe qui. Même les jeunes n’arrivent pas à me sortir du court. Quand je perds, jamais je ne me dis que c’est parce que j’ai 34 ans. »
Cette année-là, et malgré un « temps un peu froid pour ses vieux os », Jimmy Connors s’est hissé jusqu’en quart de finale, où sa bête noire Boris Becker l’a dominé en trois sets. Et sur sa route, outre son marathon contre Westphal, Connors a surpris son monde en écrasant un jeune « terrien » argentin de 17 ans, Franco Davin (6/3 6/1 6/2). Et à Wimbledon, alors ? Un mois plus tard, après une finale au Queen’s, Connors avait assez de jus pour atteindre les demi-finales pour la onzième et dernière fois de sa carrière, battu seulement par le futur vainqueur Pat Cash. Voilà de quoi rendre impatient tout fan de Roger désireux de pouvoir comparer le parcours du « maître » en 2017 avec celui du « lion » en 1987. Et de voir si, comme en 1987 pour Jimmy., les journalistes osent parler de retraite à Roger Federer. Dans le Tennis Magazine de juillet 1987, une photo de Jimmy Connors est accompagnée de cette légende, « Jimmy Connors amuse et s’amuse. Il émerveille. Et quand on l’a vu quitter le Central, battu par Becker, le mercredi 3 juin sur le coup de 16h11, on eut peur que son furtif salut au public fut un geste d’adieu ». Cinq ans plus tard, à 39 ans, la star américaine faisait encore des acrobaties sur ce même court contre Michael Stich... Pour Federer, il se peut bien aussi que les adieux durent plusieurs années.