Hingis, Agassi, Sampras, Connors... La liste des vainqueurs de Wimbledon ? Non, le début de la liste des victimes du court numéro 2 du All England Club, sobrement renommé « le cimetière des champions ». Zoom sur un mystère vieux de près de 40 ans déjà...
« Lorsque le calendrier est sorti la veille de mon match, j'étais stupéfait de voir sur quel court j'allais jouer. Je ne veux pas ressembler à diva ou quoi que ce soit, mais c'était un camouflet pour moi ». Juillet 2002, Pete Sampras est au crépuscule de sa carrière. Une chute à la 10ème place mondiale l'année précédente, un huitième de finale à l'Open d'Australie et une défaite au premier tour à Roland Garros contre Andrea Gaudenzi sonnent comme la fin. A Wimbledon, où il règne en maître depuis des années, se présente au second tour le Suisse George Bastl, 145ème mondial. A priori, une formalité. Sauf que le match se tient sur le petit court numéro 2. Sampras tempête et s'inquiète. « J'avais le sentiment qu'en tant que joueur dominant pendant des années, je méritais un peu mieux. Peut-être que les Lords de Wimbledon ont vu là l'occasion d'ajouter à la légende du court », suggère-t-il dans son livre A Champion's Mind: Lessons from a Life in Tennis.
La légende, quelle légende ? Avant lui, il sont tous tombés sur ce court numéro 2, les uns après les autres : Jimmy Connors, Pat Cash, Andre Agassi, Richard Krajicek, Michael Stich, Goran Ivanisevic, Marcelo Rios, Gustavo Kuerten, Michael Chang, Yevgueni Kafelnikov, Boris Becker... En 1991, c'est là que la victoire avec le plus grand écart au classement a eu lieu. Nick Brown, 591ème joueur mondial, s'était offert le scalp de Goran Ivanisevic, alors dans le top 20. Même John McEnroe s'est perdu un jour sur le court 2, en 1979 contre Tim Gullikson, l'un des coachs historiques de Sampras. De quoi refiler des sueurs froides à un Pistole Pete déclinant, qui attendait davantage d'un pays où on ne rigole pas pourtant avec le respect des traditions et du passé « "Si je perdais, les titres de presse, les jours suivants étaient déjà prêts : 'Sampras enterré sur le cimetière'. Tout d'un coup, la route devenait terriblement bosselée pour moi, à un moment où elle aurait dû s'ouvrir en douceur ».
Vautours et psychose
Comment décrire le court 2 ? Sampras présente le lieu du crime parfait : « Des petits gradins, un public très proche du court, on a le sentiment d'être dans une chaufferie. Avec de nombreuses distractions, à commencer par le bruit de la foule du court numéro 3 à côté ». Et la terrasse du salon lounge des joueurs qui surplombe le court. Quand le match devient intéressant, c'est l'attroupement. « Tout le monde se poste là-haut, comme des vautours perchés sur une falaise" » décrit Sampras. En 2010, Andy Roddick raconte l'expérience court numéro 2 sans équivoque : « Quand vous vous creusez un trou, il est difficile d'en sortir ». Voilà sans doute expliqué en partie le mystère. Le lieu réunit toutes les caractéristiques du traquenard : petit, déstabilisant, avec un public ponctuel qui prend souvent fait et cause pour le faible, qui souvent se lâche et joue son meilleur tennis, loin de la pression paralysante du court central. Nul doute que les organisateurs du tournoi en profitent alors pour jouer de temps en temps avec les nerfs des meilleurs joueurs.
De quoi créer une psychose : en 2011, les sœurs Williams, vainqueurs des neuf derniers Wimbledon se plaignent d'être toutes les deux programmées sur le court numéro 2 en lieu et place du court 1 et du central court. Deux ans plus tôt, en 2009, le court a pourtant été détruit et reconstruit pour permettre la rénovation du court numéro 3. Mais la peur demeure. Pour cause, quelques années plus tôt, en 2005, Serena y est tombée contre Jill Craybas après un match sans. Un an plus tard, c'est Venus qui s'inclinait sur le court sous les coups de boutoir de la jeune Jelena Jankovic. « Ils aiment nous mettre sur le court 2 pour je ne sais quelle raison. Je ne l'ai pas trouvée encore. Peut-être qu'un jour je comprendrai... », avait déclaré, perplexe, Serena. Ce à quoi avait répondu le porte-parole du tournoi, Johnny Perkins : « Je ne pense pas que ce soit quoi que ce soit délibéré. La programmation du tournoi est un puzzle très complexe, que tout le monde juge à partir de son propre point de vue ». Après cette polémique, les sœurs Williams sortiront cette fois sans encombre du piège. Pas Pete Sampras. Au terme d'un match énigmatique, il sera finalement battu 6-3, 6-2, 4-6, 3-6, 6-4 par un lucky loser suisse en état de grâce. Et quittera en juillet 2002, tête basse et pour toujours Wimbledon avec ces quelques mots : « Je viens d'ajouter mon nom au cimetière des champions ».