De Wimbledon à Hollywood, une dynastie de tennis : les Amritraj

11 oct. 2013 à 00:00:00

De Wimbledon à Hollywood, une dynastie de tennis : les Amritraj
Anand, Vijay, Ashok, Prakash et Stephen : pas moins de cinq Amritraj ont pratiqué le tennis au niveau professionnel. Une histoire de famille dans laquelle on retrouve James Bond et Sharon Stone, entre autres.

Anand, Vijay, Ashok, Prakash et Stephen : pas moins de cinq Amritraj ont pratiqué le tennis au niveau professionnel. Itinéraire d’une famille d’enfants de la balle jaune, entre Wimbledon et Hollywood, Pancho Gonzales et James Bond, John McEnroe et Jean-Claude Van Damme, Fabrice Santoro et Sharon Stone. Et bien d’autres encore.

 

S’il se livre à un flashback depuis sa chaise de producteur hollywoodien à succès, Ashok Amritraj, aujourd’hui quasi-sexagénaire, n’en reviendrait sans doute pas d’avoir contribué à écrire pareil scenario : trois frères, issus de la petite bourgeoisie de Madras, tous devenus tennismen de haut niveau, jusqu’à devenir la première fratrie de trois à participer à une même édition du tournoi de Wimbledon. Voilà ce que ses aînés et lui ont accompli au cœur des années 1970, avant de quitter la scène pour mieux investir le petit et le grand écran. Non sans avoir transmis au préalable le virus de la balle jaune à leurs enfants. Les Amritraj, ou quand une dynastie de tennismen fait son cinéma.

 

Le pilier de la famille, au moins sur le plan sportif, c’est évidemment Vijay, le cadet. Le meilleur du lot, celui qui a tutoyé les étoiles : sa carrière d’une remarquable longévité – premiers matchs pros en 1970, dernier en 1993 – affiche 16 titres en simple, des quarts de finale à Wimbledon et à l’US Open et un tableau de chasse exceptionnel : Pancho Gonzales, Rod Laver, Ken Rosewall, Ilie Nastase, Björn Borg, Jimmy Connors et même John McEnroe au cours de sa fabuleuse année 1984, celle que l’Américain conclura avec seulement trois défaites au compteur. Vijay Amritraj, c’est aussi une popularité jamais démentie : « Quand j’ai commencé à jouer, la proportion de joueurs de couleur sur le circuit se limitait à Arthur Ashe et moi, se remémore t-il. Du coup, où que je joue, il y avait souvent des gens pour venir me glisser un petit mot à la fin des matchs. Des Indiens qui étaient partis tenter leur chance ailleurs, des docteurs, des ingénieurs… Quand je leur demandais pourquoi ils me remerciaient, ils me répondaient que leurs employeurs, après m’avoir vu jouer, étaient fiers de compter un Indien dans l’entreprise ! »

 

Les trois frères à Wimbledon

 

A eux trois, et alors que Ramesh Krishnan ne va pas tarder à les rejoindre, les frères Amritraj font de l’Inde un pays qui compte sur la carte du tennis. Aux côtés d’Anand, son aîné d’un an, Vijay forme une redoutable paire de double. Ensemble, ils remportent huit titres et jouent les demi-finales de Wimbledon en 1976. Et puisque Anand est également un joueur de simple correct – 74e mondial à son meilleur, avec des victoires sur Orantès, Gottfried et McEnroe – ils contribuent à hisser leur équipe nationale en finale de Coupe Davis par BNP Paribas à deux reprises, en 1974 et 1987. « Vijay était le plus doué de nous tous, raconte Anand. Quand nous étions plus jeunes, j’arrivais à user de mon statut d’aîné pour prendre le dessus. Mais une fois chez les pros, il s’est révélé meilleur. Il était le talentueux, j’étais le travailleur. Il a battu les plus grands mais pouvait perdre contre moins bien classé que lui. Tout l’inverse de moi. Je pense que la raison pour laquelle il n’a pas gagné de Grand Chelem est qu’il était incapable d’être constant sur une période de plus d’une semaine. Mais en talent pur, il était aussi bon que Borg ou Connors. »

 

Dans l’ombre de ces aînés installés parmi l’élite mondiale grandit le troisième des frangins, Ashok. Le moins doué d’entre eux, malgré une prometteuse finale de Wimbledon chez les juniors en 1974. Cette année-là, la fratrie Amritraj, dans son intégralité, foule le gazon du plus prestigieux tournoi du monde, marquant ainsi à sa manière l’Histoire du tennis. Ils rééditeront cette « perf » familiale, rêvée par leur grand-père, en 1977 : ce trio de purs serveurs-volleyeurs est alors engagé en double (ironie de l’histoire, trois autres frères s’alignent cette année-là à Wimbledon, également en double : les Anglais David, John et Tony Lloyd).

 

Le tennis ne suffit pas

 

Au début des années 1980, tandis qu’il demeure une valeur sûre du Tour ATP, Vijay Amritraj montre à nouveau la voie à ses frères en s’ouvrant les portes des plateaux de cinéma. Et quelles portes : pour les besoins du script d’Octopussy, 13e opus de la saga James Bond, le réalisateur John Glen recherche un acteur de type indien pour incarner un agent du MI6 secondant Roger Moore himself dans sa mission. Vijay Amritraj saute sur l’occasion et pose candidature : le voilà propulsé charmeur de serpent et professeur de tennis au service secret de Sa Majesté. L’expérience s’avère suffisamment convaincante pour qu’il décroche deux ans plus tard un rôle dans une autre franchise culte, Star Trek, lors de la quatrième adaptation de la saga au cinéma, The Voyage Home (1986). Mais c’est plutôt du côté de la télévision que Vijay Amritraj, dorénavant établi aux Etats-Unis, va s’installer dans la durée, aux commandes d’une émission, « Dimensions », au cours de laquelle il a, au fil des années, interviewé aussi bien Sharon Stone, Hugh Hefner ou Pierce Brosnan que les époux les plus célèbres du tennis, Steffi Graf et Andre Agassi.

 

 

Vijay n’est alors pas seul à quitter les courts. Loin du tennis, le grand écran s’apprête à devenir le nouveau terrain de jeu d’Ashok. Le petit dernier n’a pas percé sur le circuit professionnel – quatre matchs gagnés seulement, mais beaucoup de souvenirs avec des matches contre Ashe et Nastase, ou des doubles aux côtés de Rosewall – et n’a pas réussi à sortir de l’ombre encombrante de ses aînés : « Il y a eu une phase durant laquelle je me sentais comme le raté. Passer après deux frères qui connaissaient tant de succès…, lâchera même le benjamin. Heureusement ce n’était qu’une phase. »

 

Van Damme – Dudikoff vs Prakash et Stephen Amritraj

 

Rien de mieux pour s’extirper de cette situation que d’entamer un nouveau chapitre : « J’avais ce rêve d’enfant de réaliser un film à Hollywood. Aussi quand le tennis m’a permis d’aller à Los Angeles, j’ai vu cela comme l’occasion de transformer mon rêve en réalité. » Ashok Amritraj ne sera cependant pas réalisateur, mais producteur. L’un des plus boulimiques même, spécialisé dans le film de baston à petit budget, avec si possible une ancienne vedette de sport de combat à l’affiche. Bref, du nanar, du vrai, du bon. A la tête de sa société, Hyde Park Entertainment, il produit plusieurs perles du secteur, parfois connues, parfois non, mais aux noms toujours délicieusement évocateurs : Double impact avec Jean-Claude Van Damme, Nine deaths of the ninja avec Shô Kosugi, Opération Cobra avec Don ‘The Dragon’ Wilson ou encore The shooter avec Michael Dudikoff. Les années 2000 arrivant, il intègre le cercle des gens qui comptent et produit le Ghost rider de Nicolas Cage et le Machete de Robert Rodriguez.

 

La famille Amritraj n’en a pas pour autant terminé avec le tennis. Le nouveau millénaire voit la progéniture tenter sa chance chez les pros. Mais le Tour ATP a entretemps bien changé et, bien que nés à Los Angeles et bercés au championnat universitaire américain, le jeu de service-volée hérité de leurs parents ne permettra pas à Prakash et Stephen, respectivement fils de Vijay et d’Anand, de s’envoler très haut. Stephen a arrêté les frais en 2008 avec une demi-finale en double à Los Angeles pour meilleur résultat – les deux cousins avaient alors aligné le 14e de la spécialité Sandon Stolle, puis le n°10 Kevin Ullyett. Prakash a connu un peu de plus de succès mais sa carrière est demeurée sinusoïdale, surtout marquée par une finale en simple à Newport, perdue face à Fabrice Santoro en 2008. Il fit aussi parler de lui en œuvrant à son échelle pour l’amitié indo-pakistanaise, signant un huitième de finale en double à Wimbledon en compagnie d’Aisam Qureshi, le n°1 pakistanais, sur les mêmes courts où ses aînés s’étaient si souvent distingués trente ans plus tôt. Le décor principal est tout trouvé si Ashok décide un jour de graver sur pellicule cette extravagante odyssée familiale.

 

Par Guillaume Willecoq

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